lundi 11 février 2013

130211 - FILM TV - Epouses et concubines







'Epouses et concubines' : l'enfer d'une vie de femme chinoise

Adaptation du roman du même nom, "Epouses et concubines" est l'une des oeuvres les plus abouties de Zhang Yimou et du cinéma chinois. Cette critique du système du concubinage et de la rigidité de certaines traditions sonne comme un appel à l'égalité des sexes.

Fiche du film


Titre original : Dà Hóng Dēnglóng Gāogāo Guà 大红灯笼高高挂

Titre international : Raise the Red Lantern

Titre français : Epouses et concubines

Réalisateur : Zhang Yimou

Scénariste : Zhen Ni, d'après le roman de Su Tong

Réalisation : 1991, Chine, Taïwan et Hongkong

Acteurs principaux : Gong Li (Songlian, la quatrième épouse), He Cafei (Meishan, la troisième épouse), Cao Quifen (Zhuoyun, la deuxième épouse), Jin Shuyuan (Yuru, la première épouse), Ma Jingwu (maître Chen Zuoqian), Kong Lin (Yan'er), Cui Zhigang (Master Gao), Xiao Chu (Feipu, le fils aîné de maître Chen)

Genre : drame/historique

125 minutes

 

Rivalités de femmes dans une riche maison chinoise

 

Gong Li, sublime comme à son habitudeDans les années 1920, Songlian, une jeune femme de 19 ans issue d'une famille pauvre (son père est décédé en laissant la famille dans le besoin), abandonne ses études pour devenir la quatrième épouse du riche chef de la famille Chen.


Rapidement, elle est initiée aux coutumes familiales et accueillie par les trois autres épouses. La plus âgée, Yuru, en apparence froide et autoritaire, se révèle distante, alors que la seconde, Zhuoyun, se montre plus chaleureuse et loquace. Quant à la troisième, Meishan, jolie chanteuse d'opéra, elle se présente de suite comme une rivale et ennemie de Songlian.

Car les quatre épouses de Chen se disputent ses faveurs : chaque jour, celle que le maître choisira pour partager sa nuit voit les domestiques allumer les lanternes qui ornent ses appartements. En plus de bénéficier d'un traitement de faveur fait de toilettes et massages, l'élue a le droit de diriger la maisonnée la journée suivante...

D'abord écoeurée par la pratique, Songlian va petit à petit accorder une grande importance à l'attitude de son mari, espérant être choisie le plus souvent possible. Car il s'agit d'une question de survie : la femme délaissée n'est pas respectée par ses propres serviteurs, et les autres concubines n'hésitent pas à user du pouvoir que leur octroie une nuit d'amour avec le maître des lieux. Dans cet enfer, les ennemies et les amies ne seront pas forcément ceux que Songlian imaginait...

 

Une critique des traditions chinoises ?


Censuré pendant une courte période après sa sortie alors que le film avait initialement vu son scénario accepté par les autorités chinoises, "Epouses et concubines" est un film qui a suscité des interprétations diverses. Adaptation du roman du même nom de Su Tong, ce long métrage est une critique sans ambigüité du système de concubinage autorisant un homme à entretenir plusieurs épouses.
Quel meilleur privilège que de se faire masser par sa rivale ?

Certains observateurs sont allés plus loin et ont vu dans ce film une remise en cause du système communiste en Chine car les personnes qui enfreignent les règles traditionnelles au sein de la maison (comparables aux lois) sont sévèrement punies. L'adultère, comparable à une trahison, est d'ailleurs sanctionné de mort s'il est l'oeuvre d'une épouse, alors que le mari (comparable au gouvernement) a lui bon droit de choisir parmi ses différentes épouses, voire ses servantes...

Si cette critique du communisme en Chine a été niée par Zhang Yimou lui-même (il le fera plus clairement dans "Vivre !"), le cinéaste chinois n'en dénonce pas moins la rigidité du système traditionnel chinois encore en partie respecté aujourd'hui : suprématie de la richesse sur les sentiments, rigidité sociale, différences notables entre les droits des hommes et ceux des femmes...

Cela se voit dans plusieurs aspects de la mise en scène, comme le fait que le mari, maître Chen, ne soit jamais filmé de face et de manière à être identifiable : il s'agit d'un moyen pour insister sur l'universalité des situations créées par le concubinage. Cette non-personnalisation du maître des lieux souligne l'absence ou quasi absence de sentiments amoureux entre l'homme et ses épouses : obtenir ses faveurs et son intention est un moyen de s'assurer un statut supérieur. Le mystère qui entoure le mari semble indiquer qu'il pourrait être n'importe qui à partir du moment où il est riche et puissant... Il s'agit là d'une manière comme une autre d'avancer l'idée que la richesse matérielle dirige ce monde et fait des femmes des esclaves.

D'ailleurs, en étant intégralement tourné dans l'enceinte de Qiao, un palais à 30km au nord-ouest de la ville de Pingyao (province du Shanxi), le film enferme le spectateur dans un environnement balisé qui témoigne du peu de libertés dont jouissent les épouses : leur univers se réduit à la demeure du mari et aux appartements de chacune. L'une des seules qui se permet de sortir de ce circuit fermé, à la recherche de liberté et d'une vraie relation affective, le paie d'ailleurs de sa vie.

Très positivement reçu par la critique et le public, "Epouses et concubines" est une oeuvre qui a logiquement contribué à donner à Zhang Yimou une réputation de féministe. Nommé comme représentant de Hongkong pour l'Oscar du meilleur film étranger en 1992, le long métrage a été honoré d'un Lion d'argent à la Mostra de Venise en 1991, au milieu d'une multitude d'autres distinctions dont celle de meilleur film en langue non-anglaise aux BAFTA 1993.

 

Zhang Yimou au sommet de son art


He Cafei dans le rôle de la troisième épouseQuatrième film de la carrière de réalisateur de Zhang Yimou, "Epouses et concubines" fait partie des principales merveilles du cinéaste. Comme souvent avec lui, un grand soin a été accordé à la beauté des images, aux décors. Aucune prise de vue n'est laissée au hasard...

Et comme souvent avec Zhang Yimou, cette beauté visuelle si caractéristique de son style vient enrober une oeuvre profonde et subtile. Parler de chef d'oeuvre pour "Epouses et concubines" est un moindre mal tant la mise en scène, par sa justesse, permet au spectateur de comprendre minute après minute tout ce qui se trame dans la maison de la famille Chen, et comment les rapports de force évoluent.

De manière intelligente, Zhang Yimou remet en cause certaines traditions mais aussi la société chinoise d'aujourd'hui : liberté individuelle et solidarité sacrifiées par certaines règles archaïques, manque de considération envers les femmes jugées moins précieuses que les hommes...

Cette haute qualité artistique du film est néanmoins rendue possible par le talent des différentes actrices, en particulier Gong Li  -encore une fois sublime- dans le rôle de la jeune étudiante broyée par ce système de concubinage et sa cruauté. He Cafei, dans le rôle de la troisième épouse n'est pas moins remarquable en séduisante chanteuse d'opéra faussement malveillante.

On notera également la présence de Kong Lin dans le rôle de la servante Yan'er, incarnation de la jeune femme mal-née mais rêvant d'ascension sociale avec un statut de concubine qu'elle n'aura jamais. Au contraire, la rigidité du système et son obsession vont la conduire à la jalousie puis à la mort, comme pour montrer le destin qui attend les rebelles dans une telle société inégalitaire.

Le fait que cette jeune femme meurt en raison de son refus de se soumettre à l'autorité, alors que les vieilles servantes comme Tante Cao acceptent leur destin et survivent, est peut être une référence indirecte à la répression de Tian Anmen en 1989 : une autorité rigide mène à la mort les nouvelles générations qui veulent améliorer leur vie...

Zhang Yimou ayant nié toute référence implicite à Tian Anmen ou au gouvernement actuel, cette dernière idée ne reste qu'une supposition.

Gong Li



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