mardi 3 septembre 2013

130903 - MUSIQUE - BEETHOVEN - Les deux trios de l'opus 70



Ludwig van BEETHOVEN





LES DEUX TRIOS
DE L'OPUS 70


Trio n° 5 en ré majeur, op. 70 n° 1
Trio n° 6 en mi bémol majeur, op. 70 n° 2


Noël Lee, piano
Robert Gendre, violon
Robert Bex, violoncelle



L'année 1808 durant laquelle furent conçus et en très grande parte écrits les deux trios de l'opus 70 fut l'une des ^plus extraordinaires de la vie de BEETHOVEN.

Songeons qu'en cette seule année ce prodigieux cerveau nous a donné quatre mélodie sur un texte de GOETHE, la troisième sonate pour violoncelle et piano, la 25° sonate, les variations op. 76 et la fantaisie op. 77 pour piano, la fantaisie op. 80 pour piano, orchestre et chœurs, préfiguration de l'ode à la Joie, la cinquième et la sixième symphonies : ce qui est presque incroyable.

Parallèlement à ce jaillissement inspiré d'une très grande importance, il semble que BEETHOVEN ait vécu une série d'aventures sentimentales plus ou moins rêvées, plus rêvées souvent que poussées jusqu'à leurs conséquences ultimes les plus vives. Le tourment des femmes, chez lui, se manifesta souvent chez lui sous la forme de désirs inassouvis. Pour lors il y avait eu l'attachement sentimental un peu trouble pour Marie BIGOT, le jeune ménage VON BREUNING, probablement un intérêt assez vif pour la « paysanne pervertie » de Döbling : Lise FLEHBERGER, la naissance et le développement d'un amour beaucoup plus dur pour la jeune Thérésa MALFATTI, et un projet de mariage sur lequel BEETHOVEN demeura fort mystérieux.

Mais il y eut surtout l'attachement capital qui le retint dans l'intimité de celle qu'il appelle sa «très chère Marie ERDÖDY» à qui sont dédiés les deux trios de l'opus 70 et chez laquelle il trouva gîte, compréhension et refuge spirituel. Il l'appelait aussi son «Père Confesseur» et Romain ROLLAND souligne que nul comme elle n'a su «avoir accès au plus intime du cœur de BEETHOVEN». C'était, au dire de TREMONT qui les connut bien, entre Marie ERDÖDY et lui, comme entre Mme D'HOUDETOT et Jean-Jacques ROUSSEAU, le règne d'une amitié amoureuse qui, du moins chez BEETHOVEN, prit rapidement un caractère fort passionné et servit alors magistralement son inspiration.

Aux sollicitations extérieures d'un certain déséquilibre des sens cet attachement apportait le contre-poids de la stabilité, de la profondeur et de la plénitude épanouissante. Romain ROLLAND, encore, qui sut, mieux que personne pénétrer et analyser ce phénomène d'osmose, montre bien comment les œuvres dédiées à Marie ERDÖDY «sont les seules où la personnalité de la dédicataire exerce une influence sur la substance même de la musique».

LE TRIO EN RE MAJEUR op. 70 n° 1

fut joué la première fois chez Mme ERDÖDY en décembre 1808. BEETHOVEN tenait la partie de piano. Un témoin, REICHARDT, compositeur ami de GOETHE, y assistait et dans une lettre datée de Vienne le 10 décembre, nous a conservé la relation de cet événement. Il y décrit l'exaltation et le sûr goût de l'hôtesse éprouvant «une jouissance tendre et enthousiaste à chaque passage d'une délicatesse achevée» ; et d'ajouter avec plaisir : «Heureux artiste qui peut compter sur de tels auditeurs !»

Mais ce qui nous frappe aujourd'hui, c'est le climat de bonheur, de plénitude ardente et cependant de sereine beauté de l'ouvrage. HOFFMANN la jugeait «venue d'un monde inconnu».

Il y a de cela. Marie ERDÖDY inspire à BEETHOVEN le sentiment de la sûreté de son art, de son invincibilité, de sa grandeur, l'assure de son triomphe sur la cabale viennoise. C'est ce sentiment et la reconnaissance affectueuse qu'il en éprouve qui déterminent et la richesse nouvelle de l'écriture et cette impression «d'intemporelle vérité» qui frappait HOFFMANN. Sur le plan même de l'évolution du romantisme le trio en ré majeur va très loin, car s'il est vrai qu'il eut pu passer pour la rose d'automne d'un MOZART qui aurait assez vieilli, il y a aussi dans la rêverie du largo, une sorte de morbidité, d'hypnose, quais baudelairiennes, d'obsession nocturne aux singuliers sortilèges.

LE TRIO EN MI BEMOL MAJEUR op. 70 n° 2

est contemporain du premier et la démarche en est parallèle. De même que l'inspiration encore que BEETHOVEN, dans le finale, CSERNY le remarquait déjà, se soit inspiré, semble-t-il, de mélodies populaires croates entendues en Hongrie. Il s'y ajoute une sorte de poésie gracieuse, analogue à celle des fêtes galantes des premiers quatuors, planant au-dessus de la chaude maturité et de l'ardeur sourde des mouvements profonds de l'âme du maître aux prises avec le lyrisme déchaîné par sa lumineuse égérie.

Que l'on ait pu rapprocher le motif du premier mouvement du trio en mi bémol majeur de celui de l'allegro de la Symphonie en mi bémol de MOZART ne peur que nous confirmer dans l'opinion que BEETHOVEN, dans l'opus 710, donne un exemple particulièrement heureux de ce passage pathétique de l'équilibre de l'esprit classique à l'effervescence romantique de la sensibilité à travers les réactions puissantes d'une âme exceptionnelle.

C'est peut-être ce que voulait dire HOFFMANN en parlant précisément à ce propos de l'expression «à la fois hautement géniale et réfléchie» de l'étonnant amoureux de Marie ERDÖDY.

C'est en tout cas ce que nous comprenons mieux à l'écoute de ces œuvres qui tiennent une place à part dans le pèlerinage intime d'un cœur sans cesse tiraillé pour lequel elles furent un instant unique d'équilibre profond.

Jean HAMON
de l'Académie du Disque Français.


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