mardi 25 septembre 2012

120925 - LECTURE - Denis LACHAUD - La forme profonde



          Imaginez une ville qui fasse penser à Saint-Nazaire par l'importance de ses activités portuaires, de ses chantiers navals, de ses vastes bassins appelés "formes", et aussi par la proximité de très belles plages, de dunes, de rochers. Mais une ville dix ou vingt fois plus grande, dotée d'un métro. Une vaste cité où, à la faveur des grandes vacances, puissent se mêler des enfants de milieux très variés. Cette cité est celle où nous conduit le très beau roman de Denis Lachaud: La forme profonde. On y voit s'observer, se croiser, se recevoir ou préférer s'ignorer différentes familles mises en contact par leurs rejetons. Ceux-ci apprennent à vivre. A l'abri des regards parentaux. On accompagne principalement la petite bande de la rue des Marsouins, quatre garçons d'une douzaine d'années auxquels hésite à se joindre un cinquième, par frousse ou par fierté. On assiste à leurs palabres sur le trottoir, à leurs plongeons, à leurs virées à l'île d'Eau. Et sur l'herbe d'un jardin public se retrouvent leurs grandes soeurs et leurs copines, tout excitées parce que leur tournent autour des "grappes de garçons, des bombes à hormones au bord de l'explosion, tout juste si on n'entend pas le compte à rebours". 
On s'adapte au rythme des retraitées ou des petits enfants. Le récit s'interrompt parfois pour laisser la parole, l'espace d'un chapitre, à quatre personnages, en alternance. Au début de ce roman à plusieurs voix, tant de gens de tout âge surgissent en même temps qu'on est un peu perdu. Mais la construction est si maîtrisée qu'on s'y retrouve vite, captivé. 

          Quelque activité ou métier qu'il évoque - exercice de piano, travail de l'infirmière ou du lamaneur - Denis Lachaud le fait avec l'exactitude qu'implique le respect. L'autosatisfaction candide d'un étudiant de HEC, fils d'un banquier régional, le rituel clanique de cinq frères et d'une soeur, le sentiment de victoire d'une diplômée arrachée à la condition ouvrière, les relations de "bon voisinage" secrètement sapées par l'envie d'un riverain, l'absentéisme coupable et les horaires suspects d'une mère qui se dit serveuse, la découverte de l'amour par un bel ingénieur encore puceau à vingt-sept ans, l'hypocrisie de la bourgeoise sans façons qui exploite la jeune fille au pair, et mille autres sentiments ou situations illustrent la vie quotidienne d'un quartier plutôt tranquille. 

          Le tableau que brosse Denis Lachaud de cette cité industrielle et balnéaire charme, amuse, émeut. Et sidère. Car il ne cache rien des "jeux interdits" auxquels se livrent certains enfants et adultes. L'étendue de la ville offre l'anonymat sans lequel certain père de famille ne pourrait aller se défouler au sauna. Et ce n'est là que vénielle cachotterie. L'air de rien, sans qu'on en fasse toute une histoire, cambriolage, vandalisme, échangisme, pédophilie, viol, mort par overdose et même assassinat - d'un garçon de huit ans par un autre de treize ans - se faufilent dans la toile comme autant de détails qu'il faut regarder en face mais qui ne dénaturent point la vue générale. C'est la ville comme elle va. Ecrivain sensible et doué, révélé il y a trois ans par J'apprends l'allemand, Denis Lachaud voit clair, écrit juste, pratique un réalisme tempéré. Et, en passant, La forme profonde rappelle aux Français qui ne cessent de gémir sur une prétendue "douce France" défunte que cruauté et barbarie ont toujours fait partie du paysage. Elles savaient seulement mieux se cacher. 


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire