mercredi 3 avril 2013

130403 - LECTURE - Céline CURIOL - Permission








Permission
Céline Curiol
Actes Sud, janvier 07
252 pages / 19 €

Le monde est gouverné par l’Institution, organisme qui régit les conflits mondiaux à coup de palabres et de conférences retranscrites par des petites mains dévouées. 
La littérature est bannie de cet univers dirigé par l’objectivité. L’écriture est seulement détenue par les résumains, fonctionnaires aux ordres de l’Institution, chargés de retranscrire les propos tenus pars les représentants mondiaux lors des sommets.
Un jeune résumain vient d’intégrer cet endroit rigide et cloisonné, heureux d’être attelé à cette tâche administrative.
Son existence réglée par l’Institution est peu à peu déstabilisée par un collègue, qui l’initie à la magie des phrases et crée en lui le besoin de fiction. Les mots, ceux qu’il manie chaque jour, deviennent source de désespoir et de réconfort. Par petites touches, il introduit dans ses résumés des incohérences, pour se convaincre de son humanité et contrecarrer la marche de la tentaculaire machinerie administrative. Ces actes de rébellion, minimes soient-ils brouillent son appréhension de la réalité et le jettent dans des états critiques. Sa vue se brouille ; des cécités passagères l’empêchent de rédiger correctement ses résumés. Ainsi, chargé de rédiger un rapport sur ses activités et son existence, il y insère son goût de la fiction.
 
Les livres ont-ils définitivement disparu? Au 54ème étage, se cacheraient ces romans, ceux que l’administration tente d’éliminer du monde. Son concurrent et « ami » va tenter de s’y introduire.
Prisonnier de cette omnipotente Institution, il demande une permission pour se rendre au chevet de son père, souffrant.
« La sensation est celle des phrases qui ne partent plus en ligne droite mais ploient, se recourbent pour aller fouiner ailleurs. Je parviens petit à petit à les couder, à la manière de tuyaux. Est-ce cela l’écriture libre défendue par A., l’entrée dans la voie ouverte par Dumika ? Aller en cercles, pas en ligne droite. Je suis encore le sujet mais je me traite différemment.  Quand j’ai commencé ce travail, je pensais montrer avec fidélité l’existence que je menais au sein de l’Institution grâce à l’exactitude et la lucidité de mon propos. Je n’avais pas d’histoire, mon existence était une succession de faits et d’informations. »
Céline Curiol possède un talent incomparable pour décortiquer lentement mais sûrement la psychologie des personnages qu’elle crée. Solitaires, ils dévient de la route qu’on leur a assignée par des rebonds, des incartades minuscules mais suffisantes pour enrayer le processus.
Dans son premier roman, Voix sans issue, une jeune femme, voix à la gare du Nord,  s’accrochait à l’insignifiance de journées mornes, façonnées par le désir de provoquer les rencontres, relayées par des rêveries vitales.
Pour ce roman d’anticipation aux allures kafkaïennes, elle avance à pas mesurés, dans un monde rendu lisse par un ersatz futur de l’ONU. Même si le thème est déjà éculé, Céline Curiol, décrit cet univers déshumanisé avec brio.
Alexandra Morardet

  • Céline Curiol est née en 1975. Elle a vécu à Londres, Buenos Aires et Londres. Son premier roman, Voix sans issue a été traduit dans une quinzaine de langues et a été salué par Paul Auster.


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