“Le Silence des églises” : la pédophilie dans une fiction au ton juste
Téléfilm | “Le Silence des églises” aborde avec tact les ravages de la pédophilie sur un jeune père de famille, hanté par les abus sexuels que lui a fait subir un prêtre. A voir ce mercredi 10 avril 2013 sur France 2.
Robin Rennucci et Florian Vigilant, Le Silence des églises. © DR |
Plusieurs minutes d'applaudissements, des questions posées la gorge serrée par des spectateurs sonnés, une parole qui se libère... La productrice Sophie Revil ne s'attendait pas à une telle réaction en chaîne en présentant le téléfilm Le Silence des églises au Festival des créations télévisuelles de Luchon en février dernier (1).
« On a eu l'impression de soulever le couvercle d'une Cocotte-Minute », se souvient-elle. Expérience troublante mais aussi rassurante pour l'équipe : sur un sujet aussi délicat que la pédophilie au sein de l'Eglise catholique, la fiction de France 2 a trouvé le ton juste, à mi-chemin entre le thriller psychologique et l'approche militante. Réalisé avec finesse par Edwin Baily, le film retrace le parcours de Gabriel, jeune père de famille hanté par les abus sexuels perpétrés sur lui, enfant, par le père Vincey (le subtil Robin Renucci), directeur de collège et chef de chœur respecté.
Désir de vengeance, culpabilité de n'avoir pas su dire non, peur de reproduire l'agression, quête de justice qui se heurte aux injonctions de la honte et du pardon... Thierry Debroux, l'auteur belge qui signe le scénario, a voulu comprendre le traumatisme et le parcours des victimes, avec l'aide notamment du psychiatre Bernard Cordier (vice-président de La voix de l'enfant). « Je n'aurais pas pu travailler si je n'avais pas rencontré des victimes. J'y ai trouvé une sorte de légitimité. Je me suis beaucoup appuyé sur le témoignage de Franck, violé comme ses sept frères par le même prêtre, un proche de la famille, très charismatique. »
Une relation ambiguë tissée par le prédateur
Un plan fixe sur une porte fermée, des pas d'homme grinçant sur un parquet... Si le film suggère l'horreur plus qu'il ne la montre, il ose aussi regarder en face des aspects dérangeants de la relation ambiguë tissée par le prédateur. « La victime souffre aussi de se sentir complice, explique le scénariste. L'enfant de 12 ans se voit imposer la découverte de sa sexualité et en tire un certain plaisir. Il entre alors dans une sorte d'addiction, mais aussi de dégoût qui le poursuivra toute sa vie. » Scène courageuse où Gabriel lance, comme un aveu : « On était comme un couple »…
Avec ce souci d'authenticité, Thierry Debroux et Sophie Revil ont trouvé une aide précieuse auprès des associations de protection des enfants, mais aussi de Christian Terras, fondateur du magazine catholique progressiste Golias. Le volet judiciaire de la fiction s'inspire pour une large partie de l'affaire Pican, du nom de l'évêque de Bayeux et Lisieux condamné en 2001 à trois mois de prison avec sursis pour « non dénonciation d'atteintes sexuelles sur mineur de 15 ans ». Le prélat, qui était informé des actes pédophiles commis par l'abbé Bissey (condamné à dix-huit ans de prison ferme), n'avait pas jugé bon d'en avertir la justice.
En reprenant les termes de ce jugement, le téléfilm affirme sa dimension documentaire et sa volonté d'interroger – sans tiédeur, ni acharnement – l'attitude de l'Eglise catholique face aux agissements pédophiles. « L'ambiguïté vient du fait que l'Eglise s'est crue au-dessus des lois, explique Robin Renucci. Le droit canon impose que le "problème" soit résolu au sein de la hiérarchie cléricale. La brebis égarée doit trouver en elle les ressources pour se dénoncer. »
Un film comme un signe dans la brume
Sophie Revil, à l'initiative du projet, a grandi dans une famille « ultra catholique » et reste marqué par « ce poids du silence et du péché » : « L'ignorance est aussi un facteur important : non, une conversation avec un psy ne guérit pas la pédophilie... » Force est de souligner le changement d'attitude de l'Eglise sous le pontificat de Benoît XVI, même si la dénonciation à la justice reste loin d'être systématique.
Le film plaide à sa manière pour l'allongement du délai de prescription, actuellement fixé à vingt ans à partir de la majorité de la victime. « La parole peut se libérer à la mort des parents, lorsque ses propres enfants ont grandi... ou à la faveur d'une émission de télévision, donc parfois très tard », souligne la productrice. « Pour ceux qui souffrent, ce film sera peut-être un signe dans la brume, poursuit Robin Renucci. Mais, collectivement, nous avons tous besoin de fictions qui éclairent les zones d'ombre de nos sociétés et créent du discernement. »
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(1) Le téléfilm y a reçu le prix du meilleur scénario (ex-aequo avec La Dernière Campagne, de Bernard Stora), le prix du public de la meilleure fiction unitaire et le prix de la meilleure musique originale.
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