dimanche 11 novembre 2012

121110 - LECTURE - Jacques CHESSEX - L'Interrogatoire

 

L'Interrogatoire, 

de Jacques Chessex

           Avez-vous déjà essayé, seul, d’être franc envers vous ? De faire appel à l’Inquisiteur qui sommeille en vous, qui vous connaît et que vous ne pourrez pas longtemps berner ? Parce qu’il était né dans une famille protestante, et parce qu’il admirait Rousseau, c’est ce défi - absurde et nécessaire - que relève Jacques Chessex, dans l’espoir non de le tenir, mais de se confronter avec ce que Starobinski appelait « la transparence et l’obstacle ». Divisé en grands thèmes comme « l’orgueil », « le vice » ou « le suicide », cet examen de conscience n’évite aucun sujet. « Dès les premiers mots qu’elle a dits, la voix questionne, je réponds. C’est la loi d ’Interrogatoire . » Le cahier des charges est simplissime ; mais qui pourrait s’y conformer ? Chessex s’y essaie : il évoque ses problèmes d’alcoolisme, ses doutes - et sa foi - concernant l’écriture, ses questionnements devant les hommes et devant Dieu, son désir pour sa compagne, de quarante ans sa cadette. Que ce soit à travers sa propre oeuvre il revient longuement sur Un Juif pour l’exemple ou par les écrits de Heidegger ou de Flaubert, Chessex interroge également la littérature, sans fard ni coquetterie. Les plus belles pages sont alors celles qui tentent de percer le mystère de l’écriture, et la manière dont l’écrivain tourne autour d’un sujet, lentement, avant de le choisir - ou d’être choisi par lui. Puisqu’il s’agit de tout dire, le lecteur trouvera également dans ces pages bon nombre d’aveux sexuels ; mais ils sont de peu d’importance. Il faut les entendre comme des signes de sincérité, qui dévoilent le grand désir de transparence chez l’écrivain. Par eux, Chessex tient à nous assurer de la véracité de ses autres chapitres. Cela aussi, Chessex l’apprit de Rousseau. À de rares - très rares - moments, cela sent un peu l’exercice et la pose : mais c’est que Chessex joue avec le feu. On connaît la phrase de Lacan : « Je dis toujours la vérité : pas toute, parce que toute la dire, on n’y arrive pas... » C’est cette volte-face qui resurgit dans L’Interrogatoire ; le même échec induit la même gloire. « "C’est ta conscience qui te le dira." Combien de fois ai-je entendu ce propos trop simple, apparemment trop transparent, pour ne pas me sentir cloué par sa ferme et calme horreur ! » 

           La vérité est toujours simple, mais elle n’est pas de l’ordre du savoir, car elle est pleine et totale. Elle effraie comme un bloc d’abîme et de nuit. Jacques Chessex tente de la découvrir ; mais ce qu’il découvre surtout, et qui fait la valeur de son livre, c’est qu’à tant désirer la transparence, on n’entend plus rien de ce que l’autre disait. La transparence est un obstacle. Changement de rôle : l’inquisiteur s’inquiète. « Vous n’avez rien dit de Dieu, ou si peu, rien de l’amour, rien de la peur... » Chessex lui répond : « Vous auriez dû écouter mieux. » Ou comment un livre posthume nous invite à ouvrir tous les autres livres de son auteur.

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