dimanche 4 mars 2012

120303 - LECTURE - Daniel PENNAC - Journal d'un corps

 

L'auteur nous plonge dans le journal intime d'un homme dont le corps a connu mille morts et autant de résurrections.


Ce journal d'un corps n'est pas autobiographique puisque son auteur est né en 1923 et meurt en 2010! Mais ce détour par l'imaginaire est fécond, il nous évite ces journaux qui prétendent à l'authenticité en sacrifiant la littérature. Or c'est elle qui atteint la vérité profonde. Les fantasmes en disent plus long sur nous-mêmes que la recension du vrai factuel dont on nous rebat les oreilles. Le récit commence avec une histoire de peur, d'enfant ligoté dans la forêt par ses petits camarades au cours d'un jeu guerrier. Une colonie de fourmis menace de le dévorer. L'angoisse originelle par excellence, celle de l'ogre. Et des peurs, ces pages en regorgent.

 

«Enfant, j'avais déjà des maux de vieux»

 

Portrait de l'homme qui a peur. D'abord, de sa mère! Pennac a peut-être lu Mélanie Klein, car cette mère terrible, autoritaire, castra­trice - comme on dit - semble sortie des analyses de cette psychologue de l'enfance cauchemardesque. C'est comme si la délicieuse maman disait constamment à son petit: «As-tu mérité ton existence?» Du coup, le bonhomme se regardant dans un miroir s'y découvre abandonné, inexistant. L'expérience va se renouveler tout au fil de sa vie. Il doit se construire un corps, une image. C'est cette épopée qui nous est contée par le menu du moindre atome de chair et de muqueuse. Des pollutions nocturnes inaugurales à la prostate finale. Le gosse est fra­gile, en proie à tous les bobos de la création: «Enfant, j'avais déjà des maux de vieux.» Heureusement, la marâtre est compensée par un père lumineux mais fugace, fantôme issu de la Grande Guerre, et par «la bonne», je veux dire la bonne mère: Violette, une nounou idéale et libératrice. Bon! Rien n'est perdu! La «résilience» du rassurant Boris Cyrulnik n'est pas loin… Ce tableau initial est peut-être un peu exemplaire et démonstratif.

 

Coups de pouce séducteurs

 

Il y a parfois chez Pennac ces coups de pouce séducteurs, ces scènes à faire qui tirent les ficelles de son personnage démuni. Mais plus on avance, plus l'artifice s'efface. Pennac semble broder à partir d'une solide expérience d'hypocondriaque. Le cœur du livre atteint un paroxysme inégalable avec des symptômes liés au nez et à des polypes! Des hémorragies, des opérations, suivies d'anémie, de zona, j'en passe. C'est l'hallali des narines. L'Iliade de nos tripes. On sait que la symbolique affective du nez est tissée d'analogies génitales, anales… Bien sûr, il y aura le premier fiasco, le dépucelage à vingt-trois ans! Mais la scène est belle, le mariage, les enfants, les petits-enfants et les arrière-petits-enfants! Tout y est, très pointu dans les détails. Nul orifice, nul appendice n'a de secret pour Pennac, nulle sécrétion, émanation. C'est la vie vue à travers la lunette des toilettes. Voici donc l'histoire de nos fibres, celle d'un type mal parti qui connaît mille morts, mille résurrections et remplit sa vie. Ouf! Le diariste écrit une phrase qui le résume, lui, et nous: «Je suis seul comme l'homme.»

«Journal d'un corps», de Daniel Pennac, Gallimard, 400 p., 22 €.






Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire