vendredi 12 août 2011

110813 - FILM TV - SCENES DE CHASSE EN BAVIERE - 2


L'HISTOIRE :

Abram, après plusieurs années passées dans la grande ville, revient dans son village. Tous le méprisent et prétendent, sans preuves, qu'il est homosexuel. Bientôt, une vaste chasse à l'homme s'organise.

La joie s’oublie vite, l’humiliation jamais

La « chasse en Bavière » du film, c'est la traque d'Abraham, un jeune mécanicien naguère emprisonné pour homosexualité, fils prodigue désavoué d'une femme étrangère qui revient au bercail, qui finit poursuivi par la police et le village dans une forêt. Une fois arrêté, le village retrouvera sa quiétude couarde, ses us religieux et ses coutumes paysannes. Comme si rien ne s'était passé. A l'origine, il y a une pièce de théâtre de Martin Speer, également scénariste de Mathias Kneissl (Reinhard Huaff, 1971) qui interprète le rôle principal. Au moment de l'écrire, il n'a que 20 ans. C'était en 1966. Quatre ans plus tard, son adaptation cinématographique voit le jour, tournée à Unholzing, avec des non-professionnels et en bavarois. Le résultat est net et coupant comme une lame, opaque et dense comme un brouillard. La radicalité du style (absence de concession, froideur clinique de documentaire social en noir et blanc) rappelle que rien n'est fait pour séduire l'œil, mais déploie tout ce qu'il faut pour provoquer le malaise. Fleischmann ne hache pas, il préfère fendre. L'action n'est pas précisément datée mais une chose est sûre : on n'échappe pas à son passé. En revanche, le lieu n'est pas anodin : c'est dans ce genre de communautés bavaroises que l'extrême-droite allemande a connu ses balbutiements. Sans le dire ouvertement, le film met en opposition la révolution culturelle allemande des années 70, revendiquée par une jeunesse libertaire avide d'utopie, de tolérance et d'amour collectif, et des enclaves rurales gangrenées par le sang et l'alcool, où stagnent des fantômes aussi délétères qu'intemporels.

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Pieux protestants, les habitants du petit village sont dominés par le manque de culture, la bêtise et l'absence d'ouverture. Presque involontairement, ceux-là qui ne cessent de se vouloir irréprochables révèlent leur indignité fondamentale. En jouant les garde-fous, ils deviennent cinglés ; garants de l'autorité, ils sont dépassés par les événements qui se muent en damnation. Cette «juste société» dévoile sa vraie nature : une communauté de démons. Et l'on cherche les anges dans cet enfer. Dépourvu d'esthétisation ostentatoire, sans tomber dans le piège du naturalisme, Fleischmann privilégie la notation, le style impassible du documentaire, voire ethnographique - l'expression «plus vrai que nature» n'est pas volée pour le décrire - pour radiographier une lente et inexorable montée des pulsions, une destruction proleptique : il faut toujours trouver plus faible que soi pour éviter de paraître faible et de se faire rejeter par un groupe. Savoir si oui ou non le protagoniste a fauté - on le taxe de crime et de pédérastie - n'intéresse pas Flesichmann, plus passionné par ceux qui jugent et accusent. C'est déjà ce qui se produisait dans M. Le maudit, où Fritz Lang incriminait moins le criminel que les autres gouvernés par la haine. A un moment donné, dans Scènes de chasse en Bavière, l'exécution d'un porc - que l'on trucide et que l'on bouffe - symbolise la vermine. Le mal n'épouse pas de connotation perverse : il n'y a pas la «conscience» de provoquer le mal. Tout ça pour dire qu'en montrant la persécution de ceux qui sont faibles, ostracisés ou marginaux (la fille de joie, le jeune débile mental); en sondant le fascisme rampant, la haine ordinaire, le racisme sexuel, la violence des préjugés et les dangers de l'uniformisation (ceux qui ne correspondent pas aux normes - famille, travail, religion - doivent être éliminés), Peter Fleischmann frappait fort.

Le climat de peur et de méfiance distillé dans Scènes de chasse en Bavière devient un terrain favorable à la dictature, avec la peur que le nazisme renaisse de ses cendres. Mais, pour éviter le contre-sens, mieux vaut se référer au texte «Du fascisme quotidien», dans lequel Fleischmann soulignait que le nazisme ne devait pas être résumé à une bande d'illuminés mais à une ivresse collective. De la même façon, il ne faut pas réduire cette tragédie humaine à l'Allemagne post-année zéro. Ce tableau édifiant d'une faillite morale n'a pas l'Allemagne pour seul décor d'élection, ni le passé révolu pour unique refuge. Tout juste constate-t-on que l'être humain demeure crédule, toujours prompt à se laisser avoir par celui qui désigne un ennemi clairement défini, tout trouvé. Pour ne pas avoir peur de l'inconnu, de ce qui dépasse ou pour d'autres raisons encore. Toute ressemblance avec notre actualité n'est pas fortuite, à une heure où, via Internet et ses forums d'opinions, se constitue une entité morale prête à bondir et à juger, tendant des câbles virtuels pour faire trébucher les «méchants», répandant partout la rumeur et le soupçon. L'autre grand sujet de Scènes de chasses en Bavière, c'est l'idéologie : comment on en souffre, comment on s'en sert, comment on n'arrive pas à en sortir. Chez Fleischmann, ce sont la morale, la certitude de savoir, la civilisation urbaine, la légitimité des actes insensés, la normalité qui font peur. D'une terreur feutrée. D'une terreur blanche.

Romain LE VERN


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