François
COUPERIN
SONATES
ET CONCERTS ROYAUX
Huguette
Fernandez, Robert Gendre, violons
Jean-Pierre
Rampla, flûte
Etienne
Pasquier, violoncelle
Robert
Boulay, alto
Laurence
Boulay, clavecin
FACE
A
QUATORZIEME
CONCERT ROYAL
pour
violon, violoncelle et clavecin
Le
Quatorzième Concert,
en ré mineur, est de construction très classique avec ses quatre
mouvements où alternent les tempos lents et rapides ; c'est
l'architecture de bien des sonates de BACH et de HAENDEL. L’œuvre
débute par un prélude grave, aux harmonies puissantes et à
l'harmonisation complexe ; sa démarche solennelle est variée à
plusieurs reprises par des épisodes en rythme pointé. L'
Allemande qui suit est
d'une énergie et d'une décision que ne détruit pas le jeu subtil
de certains contretemps accentués par des pincés. La brève
sarabande grave
est construite avant tout sur des sauts descendants renforcés par
l'ornementation, proches de ceux qui ouvrent une des plus belles
pièces pour clavecin de COUPERIN, L'
Amphibie.
Elle atteint sa plus grande intensité au début de la deuxième
reprise, où des chutes de septième dans sa mélodie produisent un
effet presque romantique, tandis que la basse conserve une ferme
dignité. Le concert se termine par une Fuguette.
COUPERIN n'a jamais écrit de fugue à proprement parler, bien que le
style fugué fût parfaitement familier au grand organiste qu'il
était. Mais le compositeur épris de liberté ne se sentait
peut-être pas à l'aise dans un genre aussi rigoureux ; on ne trouve
dans ses concerts que des fuguettes,
allemandes fuguées
ou airs contrefugués.
Cette fuguette-ci, plus développée que les autres, est une des plus
belles pièces des Goûts
Réunis ; très
italiennes d'ailleurs et même vivaldienne par ses rebondissements
syncopés, ses chromatismes descendants, ses motifs arpégés qui
font valoir la virtuosité du violon. Mais l'harmonie reste
couperinienne par la souplesse avec laquelle jouent les tonalités.
SONATE
« L' ASTREE »
pour
flûte, violon, violoncelle et clavecin
Dans
« L' Astrée
», sonate en trio, le premier violon a été, pour le présent
enregistrement, remplacé par la flûte, comme cela se pratiquait
souvent à une époque où les deux instruments étaient considérés
comme interchangeables dans les pièces de musique de chambre.
COUPERIN aurait-il, dans le principe, approuvé cette substitution ?
Les musicologues peuvent en discuter. Mais, en fait, la perfection de
l'exécution l'aurait assurément ravi et conquis. La date exacte de
la sonate n'est pas connue. Mais la maturité du style musical fait
croire qu'il ne s'agit pas là d'une œuvre de débutant. Peut-être
faut-il la situer vers les années 1695 et suivantes, alors que
COUPERIN approchait de la trentaine. Reprise en 1728 dans Les
Nations, elle y prit le titre de La Piémontaise. COUPERIN n'avait
apporté à sa musique que des changements si insignifiants (ils ont
été adoptés ici) qu'on peut à peine parler d'une seconde version.
Le choix du titre de L'Astrée
témoigne du goût de COUPERIN pour le célèbre roman pastoral
d'Honoré d' URFE, paru à partir de 1607 : livre de chevet de non
seulement tous les précieux, mais aussi de tous les délicats du
siècle, comme LA FONTAINE, auteur d'un livret d'opéra sur L'Astrée,
avec musique de COLASSE (1691) – bref de tous ceux que ne rebutait
pas un peu de ciselure baroque, et qui aimaient à s'égarer dans les
méandres d'un roman à épisodes comme dans les sentiers des forêts.
COUPERIN était de ceux-là, comme le prouvent les titres champêtres
ou galants de tant de ses pièces de clavecin, comme Les
Bergeries, Les Langueurs tendres ou Les Vergers fleuris.
Le Grave
initial, comme l'écrit excellemment Wilfrid MOLLERS, est «
peut-être le mouvement
le plus purcellien de l' œuvre de COUPERIN ; ce n'est pas seulement
le mouvement chromatique de la basse, mais la longue courbe des
phrases, les syncopes nombreuses, les quartes augmentées et les
quintes diminuées, qui nous rappellent les lamentations de DIDON.
» Le vivement
qui suit, librement fugué, annonce les plus grandes œuvres de
COUPERIN par son indépendance et sa densité d'écriture.
L'atmosphère du début se retrouve dans le second grave,
dont les suspensions dissonantes et le brusque retour du majeur
révèlent une harmonie consommée. Puis viennent une canzona
joyeuse, deux airs à
la française en majeur et mineur, et après quelques admirables
mesures lentes, d'une ampleur digne des plus grands, la sonate se
termine par une gigue
visiblement inspirée de celles de CORELLI, et pleine, à défaut
d'originalité, d'une ardeur juvénile et entraînante.
DIXIEME
CONCERT ROYAL
pour
violon, violoncelle, clavecin et alto
(dans la plainte)
Le
dixième
concert, en la mineur,
ne comporte, comme le quatorzième, que quatre mouvements – alors
quie d'autres concerts en ont huit et que le huitième va jusqu'à
onze. Le beau prélude
polyphonique, marqué grave
et mesuré, est d'une
harmonie audacieuse. L' Air
qui suit n'exclut pas l' ardeur dans la tendresse, et garde cette
flexibilité qui fait de COUPERIN le plus grand mélodiste peut-être
de notre musique avant DEBUSSY. La Plainte,
écrite pour deux violes, est le premier témoignage chez COUPERIN de
la prédilection qu'il marque à cet instrument durant la seconde
moitié de sa vie (il ne l'a employé auparavant qu'avec les violons
et les bois) : il écrira, pour violes, les treizième et quatorzième
concerts, et surtout deux suites, publiées en 1728, et qui sont
parmi les plus hauts chefs-d'œuvre de la musique instrumentale. Ici,
il emploie surtout les deux violes à la tierce et à la sixte ; la
première partie, lentement
et douloureusement, avec
les sanglots répétés de ses notes pointées, rappelle le
Rossignol-en-amour,
une des pièces de clavecin les plus célèbres de COUPERIN ; la
seconde partie, en mineur, plus
légèrement et coulé,
reste d'une teinte mélancolique, avec des insistances autour d'une
ou deux notes auxquelles la mélodie semble avoir peine à s'arracher
; ses gammes, un peu aérées, ne mettent qu'un sourire fugitif dans
une pièce essentiellement sombre. Contrastants avec trois mouvements
modérés ou lents – succession assez rare – la Tromba
semble imiter certains effets de la trompette qui lui vaut son titre
; pièce mordante, parfois bouffonne ; COUPERIN, qui a écrit dans le
style « militaire » sa sonate la Steinkerque
et ses pièces de clavecin La
Triomphante et le
Trophée,
semble ici parodier plutôt qu'exalter la gloire des armes.
FACE
B
SONATE
« L' IMPERIALE »
pour
2 violons, violoncelle et clavecin
L'
Impériale, enregistrée
ici, comme elle a été conçue par COUPERIN, pour deux violons et
basse continue, est sans doute, avec la Sultane
et les Apothéoses,
la plus belle œuvre de COUPERIN pour musique de chambre. Parue comme
l' Astrée
en 1726 dans Les Nations,
elle a dû être écrite peu avant, dans ces années 1723 à 1725 où
COUPERIN, âgé de près de soixante ans et malade depuis quinze ans
au moins, sentait, à l'aggravation de ses souffrances, que sa vie ne
serait plus très longue. Faisant violence à sa lenteur naturelle,
enhardi aussi par la pleine possession de son génie créateur, il se
hâtait de dire le plus possible de ce qu'il avait encore à dire. De
fait, il était temps : il devait cesser de composer deux ou trois
ans plus tard, cinq ans avant sa mort. C'est de cette époque que
datent les œuvres les plus amples, aux mouvements les plus
développés, comme si COUPERIN se libérait des contraintes des
Concerts Royaux,
œuvres de commande, et donnait toute sa mesure.
La
sonate s'ouvre sur un admirable
grave en mineur, qui
nous introduit dans l'atmosphère sombre mais hiératique d'un palais
de ténèbres. Le vivement,
très contrapuntique, est d'une violence qu'accentuent les
dissonances amenées par des suspensions. Le mouvement lent qui suit,
au relatif majeur, est un gravement
et marqué à trois
temps, qui a toute la majesté d'une musique de cérémonie pour
Versailles et se conclut sur quelques mesures très lentes, d'un
lyrisme particulièrement intense. Le légèrement
qui suit, sur un rythme de menuet, est en forme de rondeau libre, et
a dans l'ensemble un caractère pastoral ; mais le second couplet y
est particulièrement développé, et prend par moment une sombre
vigueur dont on verra le signe dans l'utilisation que fait COUPERIN
d'un crescendo ascendant déjà employé quelques années auparavant
dans un passage dramatique de la troisième Leçon
de Ténèbres. Après un
rondement dont
les portées et les chromatismes accentuent la caractère lyrique,
vient le magnifique final fugué, sur un thème aux larges sauts,
dont COUPERIN a indiqué les coups d'archet sur la partition pour en
souligner l'élan ; mouvement dont l'ardeur et la plénitude, qui
vont croissant jusqu'à la conclusion, ne sont surpassées nulle part
dans toute la musique du siècle, et que BACH aurait sans nul doute
été fier d'avoir écrit. L'
Impériale est bien l'
oeuvre non seulement d'un admirable technicien, mais d'un grand
maître inspiré, dont la vigueur se révèle aussi bien dans
l'allégresse que dans la douleur ou la solennité.
SIXIEME
CONCERT ROYAL
pour
flûte, violoncelle et clavecin
Le
sixième
concert, en si bémol, a
probablement été composé vers 1714 ou 1715. Au prélude lent et
solennel succède une belle allemande vive, curieusement marquée à
quatre temps légers ;
son contrepoint à deux voix, allègre et savant, fait songer à
certaines inventions de BACH. La sarabande, marquée (noblement)
fait chevaucher les triolets de la basse, dont les ondulations
liquides, chères à COUERIN, traduisent l'incertitude mélancolique,
par les notes ornées d'appogiatures de la mélodie, véritable chant
lyrique. L' Air de diable
est un morceau de bravoure, qui fait ressortir la virtuosité de
l'instrumentiste. Il doit peut-être son titre à l'intervention
d'ailleurs discrète, vers la fin de la première reprise et au
milieu de la seconde, de ce diabolus
in musica, comme
disaient avec horreur les anciens théoriciens, qu'est le triton ou
l'intervalle de quarte augmentée. A moins que COUPERIN n'ait
introduit le triton dans la pièce à cause de son titre ? Mais il ne
faut pas s'attendre à trouver ici la férocité des diables
romantiques ; c'est plutôt la gaieté lucide et ironique du Diable
boiteux de LESAGE, personnage de bonne compagnie, qui apparaît dans
ce jaillissement, analogue à celui des pièces burlesques si
abondantes dans les derniers livres de COUPERIN pour clavecin. La
Sicilienne,
marquée tendrement et
louré, qui conclut le
concert, est d'une démarche plus contenue qu'il n'est habituel dans
ce genre de pièces : on dirait plutôt une gigue ralentie. Les
dissonances, d'une fraîcheur acide, qui relèvent ses entrées en
canon, lui gardent néanmoins son caractère de naïveté pastorale.
La perfection, la diversité et le lyrisme contenu de tout ce concert
résument à merveille l'art si personnel de COUPERIN.
Pierre
CITRON.
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