samedi 27 juillet 2013

120727 - MUSIQUE - François COUPERIN - Sonates et Concerts royaux


François COUPERIN






SONATES ET CONCERTS ROYAUX

Huguette Fernandez, Robert Gendre, violons
Jean-Pierre Rampla, flûte
Etienne Pasquier, violoncelle
Robert Boulay, alto
Laurence Boulay, clavecin


FACE A

QUATORZIEME CONCERT ROYAL
pour violon, violoncelle et clavecin

Le Quatorzième Concert, en ré mineur, est de construction très classique avec ses quatre mouvements où alternent les tempos lents et rapides ; c'est l'architecture de bien des sonates de BACH et de HAENDEL. L’œuvre débute par un prélude grave, aux harmonies puissantes et à l'harmonisation complexe ; sa démarche solennelle est variée à plusieurs reprises par des épisodes en rythme pointé. L' Allemande qui suit est d'une énergie et d'une décision que ne détruit pas le jeu subtil de certains contretemps accentués par des pincés. La brève sarabande grave est construite avant tout sur des sauts descendants renforcés par l'ornementation, proches de ceux qui ouvrent une des plus belles pièces pour clavecin de COUPERIN, L' Amphibie. Elle atteint sa plus grande intensité au début de la deuxième reprise, où des chutes de septième dans sa mélodie produisent un effet presque romantique, tandis que la basse conserve une ferme dignité. Le concert se termine par une Fuguette. COUPERIN n'a jamais écrit de fugue à proprement parler, bien que le style fugué fût parfaitement familier au grand organiste qu'il était. Mais le compositeur épris de liberté ne se sentait peut-être pas à l'aise dans un genre aussi rigoureux ; on ne trouve dans ses concerts que des fuguettes, allemandes fuguées ou airs contrefugués. Cette fuguette-ci, plus développée que les autres, est une des plus belles pièces des Goûts Réunis ; très italiennes d'ailleurs et même vivaldienne par ses rebondissements syncopés, ses chromatismes descendants, ses motifs arpégés qui font valoir la virtuosité du violon. Mais l'harmonie reste couperinienne par la souplesse avec laquelle jouent les tonalités.

SONATE « L' ASTREE »
pour flûte, violon, violoncelle et clavecin

Dans « L' Astrée », sonate en trio, le premier violon a été, pour le présent enregistrement, remplacé par la flûte, comme cela se pratiquait souvent à une époque où les deux instruments étaient considérés comme interchangeables dans les pièces de musique de chambre. COUPERIN aurait-il, dans le principe, approuvé cette substitution ? Les musicologues peuvent en discuter. Mais, en fait, la perfection de l'exécution l'aurait assurément ravi et conquis. La date exacte de la sonate n'est pas connue. Mais la maturité du style musical fait croire qu'il ne s'agit pas là d'une œuvre de débutant. Peut-être faut-il la situer vers les années 1695 et suivantes, alors que COUPERIN approchait de la trentaine. Reprise en 1728 dans Les Nations, elle y prit le titre de La Piémontaise. COUPERIN n'avait apporté à sa musique que des changements si insignifiants (ils ont été adoptés ici) qu'on peut à peine parler d'une seconde version. Le choix du titre de L'Astrée témoigne du goût de COUPERIN pour le célèbre roman pastoral d'Honoré d' URFE, paru à partir de 1607 : livre de chevet de non seulement tous les précieux, mais aussi de tous les délicats du siècle, comme LA FONTAINE, auteur d'un livret d'opéra sur L'Astrée, avec musique de COLASSE (1691) – bref de tous ceux que ne rebutait pas un peu de ciselure baroque, et qui aimaient à s'égarer dans les méandres d'un roman à épisodes comme dans les sentiers des forêts. COUPERIN était de ceux-là, comme le prouvent les titres champêtres ou galants de tant de ses pièces de clavecin, comme Les Bergeries, Les Langueurs tendres ou Les Vergers fleuris. Le Grave initial, comme l'écrit excellemment Wilfrid MOLLERS, est « peut-être le mouvement le plus purcellien de l' œuvre de COUPERIN ; ce n'est pas seulement le mouvement chromatique de la basse, mais la longue courbe des phrases, les syncopes nombreuses, les quartes augmentées et les quintes diminuées, qui nous rappellent les lamentations de DIDON. » Le vivement qui suit, librement fugué, annonce les plus grandes œuvres de COUPERIN par son indépendance et sa densité d'écriture. L'atmosphère du début se retrouve dans le second grave, dont les suspensions dissonantes et le brusque retour du majeur révèlent une harmonie consommée. Puis viennent une canzona joyeuse, deux airs à la française en majeur et mineur, et après quelques admirables mesures lentes, d'une ampleur digne des plus grands, la sonate se termine par une gigue visiblement inspirée de celles de CORELLI, et pleine, à défaut d'originalité, d'une ardeur juvénile et entraînante.


DIXIEME CONCERT ROYAL
pour violon, violoncelle, clavecin et alto
(dans la plainte)

Le dixième concert, en la mineur, ne comporte, comme le quatorzième, que quatre mouvements – alors quie d'autres concerts en ont huit et que le huitième va jusqu'à onze. Le beau prélude polyphonique, marqué grave et mesuré, est d'une harmonie audacieuse. L' Air qui suit n'exclut pas l' ardeur dans la tendresse, et garde cette flexibilité qui fait de COUPERIN le plus grand mélodiste peut-être de notre musique avant DEBUSSY. La Plainte, écrite pour deux violes, est le premier témoignage chez COUPERIN de la prédilection qu'il marque à cet instrument durant la seconde moitié de sa vie (il ne l'a employé auparavant qu'avec les violons et les bois) : il écrira, pour violes, les treizième et quatorzième concerts, et surtout deux suites, publiées en 1728, et qui sont parmi les plus hauts chefs-d'œuvre de la musique instrumentale. Ici, il emploie surtout les deux violes à la tierce et à la sixte ; la première partie, lentement et douloureusement, avec les sanglots répétés de ses notes pointées, rappelle le Rossignol-en-amour, une des pièces de clavecin les plus célèbres de COUPERIN ; la seconde partie, en mineur, plus légèrement et coulé, reste d'une teinte mélancolique, avec des insistances autour d'une ou deux notes auxquelles la mélodie semble avoir peine à s'arracher ; ses gammes, un peu aérées, ne mettent qu'un sourire fugitif dans une pièce essentiellement sombre. Contrastants avec trois mouvements modérés ou lents – succession assez rare – la Tromba semble imiter certains effets de la trompette qui lui vaut son titre ; pièce mordante, parfois bouffonne ; COUPERIN, qui a écrit dans le style « militaire » sa sonate la Steinkerque et ses pièces de clavecin La Triomphante et le Trophée, semble ici parodier plutôt qu'exalter la gloire des armes.

FACE B

SONATE « L' IMPERIALE »
pour 2 violons, violoncelle et clavecin

L' Impériale, enregistrée ici, comme elle a été conçue par COUPERIN, pour deux violons et basse continue, est sans doute, avec la Sultane et les Apothéoses, la plus belle œuvre de COUPERIN pour musique de chambre. Parue comme l' Astrée en 1726 dans Les Nations, elle a dû être écrite peu avant, dans ces années 1723 à 1725 où COUPERIN, âgé de près de soixante ans et malade depuis quinze ans au moins, sentait, à l'aggravation de ses souffrances, que sa vie ne serait plus très longue. Faisant violence à sa lenteur naturelle, enhardi aussi par la pleine possession de son génie créateur, il se hâtait de dire le plus possible de ce qu'il avait encore à dire. De fait, il était temps : il devait cesser de composer deux ou trois ans plus tard, cinq ans avant sa mort. C'est de cette époque que datent les œuvres les plus amples, aux mouvements les plus développés, comme si COUPERIN se libérait des contraintes des Concerts Royaux, œuvres de commande, et donnait toute sa mesure.

La sonate s'ouvre sur un admirable grave en mineur, qui nous introduit dans l'atmosphère sombre mais hiératique d'un palais de ténèbres. Le vivement, très contrapuntique, est d'une violence qu'accentuent les dissonances amenées par des suspensions. Le mouvement lent qui suit, au relatif majeur, est un gravement et marqué à trois temps, qui a toute la majesté d'une musique de cérémonie pour Versailles et se conclut sur quelques mesures très lentes, d'un lyrisme particulièrement intense. Le légèrement qui suit, sur un rythme de menuet, est en forme de rondeau libre, et a dans l'ensemble un caractère pastoral ; mais le second couplet y est particulièrement développé, et prend par moment une sombre vigueur dont on verra le signe dans l'utilisation que fait COUPERIN d'un crescendo ascendant déjà employé quelques années auparavant dans un passage dramatique de la troisième Leçon de Ténèbres. Après un rondement dont les portées et les chromatismes accentuent la caractère lyrique, vient le magnifique final fugué, sur un thème aux larges sauts, dont COUPERIN a indiqué les coups d'archet sur la partition pour en souligner l'élan ; mouvement dont l'ardeur et la plénitude, qui vont croissant jusqu'à la conclusion, ne sont surpassées nulle part dans toute la musique du siècle, et que BACH aurait sans nul doute été fier d'avoir écrit. L' Impériale est bien l' oeuvre non seulement d'un admirable technicien, mais d'un grand maître inspiré, dont la vigueur se révèle aussi bien dans l'allégresse que dans la douleur ou la solennité.


SIXIEME CONCERT ROYAL
pour flûte, violoncelle et clavecin

Le sixième concert, en si bémol, a probablement été composé vers 1714 ou 1715. Au prélude lent et solennel succède une belle allemande vive, curieusement marquée à quatre temps légers ; son contrepoint à deux voix, allègre et savant, fait songer à certaines inventions de BACH. La sarabande, marquée (noblement) fait chevaucher les triolets de la basse, dont les ondulations liquides, chères à COUERIN, traduisent l'incertitude mélancolique, par les notes ornées d'appogiatures de la mélodie, véritable chant lyrique. L' Air de diable est un morceau de bravoure, qui fait ressortir la virtuosité de l'instrumentiste. Il doit peut-être son titre à l'intervention d'ailleurs discrète, vers la fin de la première reprise et au milieu de la seconde, de ce diabolus in musica, comme disaient avec horreur les anciens théoriciens, qu'est le triton ou l'intervalle de quarte augmentée. A moins que COUPERIN n'ait introduit le triton dans la pièce à cause de son titre ? Mais il ne faut pas s'attendre à trouver ici la férocité des diables romantiques ; c'est plutôt la gaieté lucide et ironique du Diable boiteux de LESAGE, personnage de bonne compagnie, qui apparaît dans ce jaillissement, analogue à celui des pièces burlesques si abondantes dans les derniers livres de COUPERIN pour clavecin. La Sicilienne, marquée tendrement et louré, qui conclut le concert, est d'une démarche plus contenue qu'il n'est habituel dans ce genre de pièces : on dirait plutôt une gigue ralentie. Les dissonances, d'une fraîcheur acide, qui relèvent ses entrées en canon, lui gardent néanmoins son caractère de naïveté pastorale. La perfection, la diversité et le lyrisme contenu de tout ce concert résument à merveille l'art si personnel de COUPERIN.


Pierre CITRON.

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