Publié
pour la première fois en 1937, « La Mousson » - qui
porte en anglais le titre, infiniment plus poétique, de « The
Rain Came » - est probablement, avec « Mrs Parkington »,
le roman le plus connu et aussi le plus lu de Louis Bromfield. Il a
d’ailleurs donné lieu à une adaptation cinématographique
mémorable avec la sculpturale Lana Turner dans le rôle de lady
Esketh, Tom Ewell - le voisin de Marilyn dans « Sept Ans de
Réflexion » - dans celui de Tom Ransome et un Richard Burton
somme toute assez convainquant dans celui du Major Safti.
L’argument
de base est le suivant : dans une petite principauté indienne,
l’Etat de Ranchipur, que gouvernent de façon éclairée le Vieux
Maharadjah et son épouse, l’impressionnante Maharani, la saison
Sèche touche à sa fin et tout le monde attend désespérément le
début de la saison des Pluies. Lorsque celles-ci arrivent, elles
sont si violentes qu’elles provoquent la crue du fleuve et la
rupture d’un barrage édifié par un escroc. La ville se retrouve
alors inondée et le choléra se déclare. A la fin de ce
roman-fleuve - six-cent quatre-vingt-quinze pages en édition de
Poche - tout rentrera dans l’ordre non sans que certains des
personnages campés par Bromfield n’aient trouvé dans la
catastrophe une mort navrante ou héroïque.
Derrière
ce thème, les buts poursuivis par le romancier s’avèrent
multiples. Avant tout, bien entendu, l’éternelle opposition entre
l’Orient et l’Occident - au bénéfice de l’Orient puisque
Bromfield penchait fortement vers le Communisme et rejetait avec
violence toute idée colonisatrice qui ne fût pas originaire d’URSS.
(En ce qui concerne la colonisation des Etats-Unis, ce petit-fils de
pionniers débarqués en Ohio au XVIIIème siècle n’en parle
toujours qu’en termes héroïques pour les Blancs et je ne connais
aucun ouvrage de lui où il ait pris position pour les Indiens
d’Amérique. ). Les considérations enthousiastes qu’émet aussi
Bromfield sur l’Islam en évoquant la personnalité au demeurant
des plus énergiques de Rashid Ali Khan, le Chef de la Police de
Ranchipur, sonnent tout aussi étrangement et ne trouveraient
certainement pas d’écho de nos jours chez la majeure partie des
Américains.
C’est
que Bromfield a cette implacable naïveté des « compagnons de
route » et qu’il avance obstinément, pas à pas s’il le
faut mais sans reculer d’un pouce et en se cramponnant à ses idées
toutes faites et aux oeillères qui le protègent. Soyons juste :
cela ne remet pas en cause son talent dont il fait ici l’une de ses
meilleures démonstrations en nous peignant toute une galerie de
personnages qui, Indiens comme Britanniques, valent largement le
détour.
Principal
héros et observateur : Thomas Ransome, fils cadet d’un comte
britannique et d’une héritière américaine, qui endort son
désenchantement et son cynisme dans l’abrutissement de l’alcool.
Après une jeunesse où il a brûlé la chandelle par les deux bouts,
il a atterri à Ranchipur où il s’est fixé parce que tout, dans
ces Indes immémoriales, le fascine. Depuis lors, il alimente par sa
présence et son passé, supposé ou réel, les fantasmes de la
petite communauté américano-britannique du coin.
A
la tête de la communauté en question, Mr et Mrs Simon, des
missionnaires protestants expédiés à Ranchipur pour y accomplir
tout le bien possible mais qui y ont évidemment amené ces a-priori
bizarres et incompréhensibles pour le commun des Européens que les
Etats-Unis ont toujours nourris envers tout ce qui n’est pas
américain à 100%. Dans le couple, c’est la blonde Mrs Simon,
ancienne "belle" sur le retour, qui dirige, d’une main
d’acier, non seulement sa marionnette d’époux mais aussi ses
deux filles, Hazel l’Effacée et Fern la Rebelle. Outre ses
obligations de tyran familial, Mrs Simon consacre son temps à
cancaner avec Lily Hoggett-Eggbury, l’épouse de l’Administrateur
britannique du coin (lequel Administrateur a préféré se réfugier
à Calcutta, loin de l’incroyable vulgarité de sa femme) et à
rédiger les textes de nombreuses lettres, toutes destinées à
perdre définitivement ses voisins, Mr et Mrs Smiley - autre
ménage de missionnaires mais présenté, celui-là, par Bromfield
comme la parfaite antithèse des Simon - dans l’esprit des
responsables fédéraux de la Mission Evangélique.
L’un
des grands rêves de Mrs Simon - pour ne pas dire son fantasme le
plus acharné - est de voir Tom Ransome - un aristocrate anglais,
tout de même ! - assister à l’une des petites parties
qu’elle donne régulièrement. Et voilà que, alors que les pluies
commencent à peine, le miracle se produit : poussé par
l’ennui, Ransome y fait une brève apparition. Juste le temps pour
lui de nouer une relation amusée et un peu paternelle avec la jeune
Fern, en qui il sera assez surpris de découvrir par la suite un
point de stabilité qui lui deviendra vite indispensable.
Mais
n’anticipons pas ...
Dans
le même temps, débarquent à Ranchipur lord et lady Esketh. Le
premier est un nouveau riche absolument infect même si, selon la
formule consacrée, il s’est fait tout seul. Grand amateur de
chevaux de race, il vient acquérir deux étalons de grand prix
auprès du Maharadjah. La seconde est, tout comme Ransome avec qui
elle eut jadis une liaison, un pur produit de l’authentique
aristocratie anglaise. Et, toujours comme Ransome, elle traîne un
fantôme d’existence, à la seule différence que, pour elle, le
sexe y remplace l’alcool.
Mais
les pluies s’abattent et tout se met à bouillonner. Lord Esketh
tombe malade. On appelle à son chevet le major Safti, médecin et
chirurgien du lieu, qui diagnostique un cas de peste, probablement
contractée dans les écuries du Maharadjah où deux palefreniers
sont déjà morts. Plus préoccupée du physique du séduisant major
que du décès imminent de son époux - qui a tout fait, il est vrai,
pour qu’elle en vienne à le haïr - Edwina Esketh songe déjà au
moyen de demeurer à Ranchipur un peu plus longtemps.
A
l’extérieur, la catastrophe déborde. En quelques heures, tout ou
presque est submergé et les destins se dénouent. Celui de Miss
Dirks, l’une des deux institutrices de Ranchipur, qui préfère la
noyade aux souffrances que commence à lui imposer le cancer de
l’utérus dont elle souffre. Par contre coup, celui de son amie,
Miss Hodge, avec laquelle elle vivait depuis près de trente ans et
qui, incapable de supporter la réalité de la disparition de sa
compagne, sombrera dans une folie douce. Celui de Mr et Mrs
Jobnekar qui avaient consacré toute leur vie à la réhabilitation
des Intouchables et que le flot engloutit avec leur maison. Celui de
Harry Loder, militaire britannique et prétendant aussi brutal que
malheureux à la main de Fern : personnage somme toute assez
antipathique, il se proposera néanmoins pour faire sauter la
barrière de cadavre qui empêchait les eaux de redescendre et y
perdra la vie. Et bien d’autres encore ...
Car
« La Mousson », c’est aussi un roman sur la renaissance
morale d’individus qui, jusque là, s’étaient comportés soit en
parfait égoïstes, soit en fripouilles absolues. Certes, les
personnages y sont parfois crayonnés de façon un peu trop
manichéenne, voire caricaturale mais, pour une raison ou pour une
autre, ils n’en tiennent pas moins bien la route même si
l’ensemble a vieilli. On peut regretter également les longueurs
inévitables à ce genre de romans. Toutefois, si vous n’avez rien
à vous mettre sous la dent et si vous aimez les analyses minutieuses
des petites communautés, que celles-ci soient indiennes,
américaines, européennes ou marsiennes, allez-y de confiance. « La
Mousson » n’est pas ce que l’on nomme de « la grande
littérature » mais c’est un livre qui a le mérite d’avoir
été écrit par quelqu’un de sincère et, tout compte fait, son
ingénuité présente quelque chose de rafraîchissant.
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