Johannes
OCKEGHEM
MISSA
« MA MAISTRESSE » (plamenac 8)
Kyrie
Gloria
in excelsis Deo
MISA
QUARTI TONI « MI-MI » (plamenac 9)
Kyrie
Gloria
in excelsis Deo
Credo
in unim Deum
Sanctus
Agnus
ENSEMBLE
POLYPHONIQUE DE PARIS, R.T.F.
Sous
la direction de
Charles
RAVIER
Jocelyne
Chamonin, soprano
Joseph
Sage, haute contre
André
Meurant, ténor
Georges
Abdoun, basse
Claude
Maisonneuve et Yves Pruède, cors anglais
Pierre
Poulteau, flûtes à bec ténor et basse
Christian
Lardé, flûte et flûte à bec soprano
Jean
Lamy, gambe
Pierre
Degrenne, violoncelle
Mildred
Clary, luth
Elena
Polonska, petite harpe
Gothique
attardé ou homme de la renaissance ; froid calculateur ou
musicien passionnément expressif ; mystique éthéré ou mage
inquiétant ; audacieux novateur ou dernier pilier de
traditions déclinantes ; symbole de profondeur nordique ou de
clarté latine ? La personnalité de Johannes Ockeghem, ce
flamand de pure race dont la phase de création la plus mure se
déroula pendant près d'un demi-siècle au cœur même de la France,
demeure jusqu'aujourd'hui environnée des voiles de pareilles
contradictions : ce « Brahms du Xvème siècle »,
comme le définit d'une manière si frappante son connaisseur le plus
éminent, Charles van den Boren, est en effet un classique et un
romantique tout à la fois !
En
dehors de quelques données de base, sa vie nous est encore peu
connue et si son lieu de naissance est probablement le petit village
dont il porte le nom – en Flandre Orientale non loin de Termonde –
l'année qui le vit naître demeure très discutée : 1440 ou
1430 ? En tous cas, on le signale comme chanteur dans le choeur
de la Cathédrale d'Anvers en l'an 1444. Mais en 1448, il sert comme
musicien ) la Cour de Charles 1er de Bourbon à Moulins. Et dès l'an
1452, il parvient au sommet de la réussite professionnelle lorsqu'il
prend la direction de la Chapelle Royale de France. Jusqu'à sa mort,
en 1496 à Tours, il conserve cette position privilégiée et sert
ainsi trous souverains successifs : Charles VII, Louis XI et
Charles VIII. Comme le siège de la Couronne de France se déplaçait
alors constamment de l'un à l'autre des châteaux de la Loire, c'est
donc plus de quatre décades qu'Ockeghem passa dans cette contrée
bénie de Dieu, ce « Jardin de la France ». C'est ainsi
que le seul peut-être parmi les grands Maîtres de la célèbre
Ecole Flamande que l'on puisse qualifier de flamand
authentique devint un vrai français d'élection, ce qui éclaire
d'un jour révélateur sa personnalité riche de contrastes. Aussi,
contrairement à la plupart de ses contemporains, contrairement aussi
à ses grands devanciers comme Guillaume Dufay ou successeurs comme
Josquin des Prez, Ockeghem ne fut pas un grand voyageur – on
signale cependant un voyage en Espagne en 1470 et un autre dans sa
Flandre natale en 1484 – Avant tout, la découverte décisive de
l'Italie lui fut refusée, confrontation d'une importance si vitale
qu'elle décida, chez tous les compositeurs qui purent la vivre, du
passage au mode de pensée et d'écriture de la Renaissance.
L'influence
de l'Italie a entraînée une simplification dans le domaine de la
dissonance et de la symétrie périodique qui devait mener à
l'équilibre un peu lisse, aux contours harmonieux de l'Ecole de
Palestrina. Cet idéal de clarté, somme toute assez classique,
constituait indubitablement la direction moderne, progressiste de
l'époque ; preuve en soit dans les écrits théoriques d'un
Tinctoris. Mais c'est précisément l'élément d'âpreté,
d'asymétrie, le côté gothique du style d'Ockeghem qui nous
paraissent aujourd'hui particulièrement audacieux et actuels,
exactement comme dans le cas de Jean-Sébatien Bach, condamné par
son époque comme gothique et rétrograde !
Par
le volume, l'oeuvre que nous a laissé Ockeghem est sensiblement
moins importante que celle de la plupart de ses contemporains :
avec quinze Messes (certaines incomplètes), neuf motets et vingt et
une Chansons, elle est logée à l'aise dans une Edition Complète
comportant trois volumes seulement. La partie essentielle en est
évidemment l'ensemble des Messes qui remplit la totalité des deux
volumes parus à ce jour. L'immense réputation du Maître durant sa
vie, - il était considéré sans conteste comme le plus grand
compositeur de son époque – nous laisse supposer une œuvre
beaucoup plus vaste, hélas disparue à jamais (nous connaissons les
titres de quatre Messes perdues). Consolons nous du moins en
constatant que presque toutes les œuvres préservées sont
magistrales.
Ecrites
avec soin, généralement à trois voix, d'une expression fréquemment
sombre et méditative, les Chansons le cèdent en importance aux
œuvres sacrées et parmi celles-ci, les Messes dominent à leur tour
les Motets qui offrent pourtant maintes merveilles. C'est dans le
vaste cadre de la Messe cyclique que le souffle puissant et la
science architecturale grandiose de ce mystique gothique pourront se
déployer le plus favorablement. Ici, les courbes mélodiques les
plus hardies, d'une richesse d'invention sans limite, s'élancent et
planent en totale liberté ; ici, le flux musical s'élève au
delà de toute symétrie restrictive, jusqu'à la représentation de
l'infini ; ici, règne un art stupéfiant de l'amplification
mélodique dans l'esprit de la variation, qui annonce, à des siècles
d'intervalle, l'avenir du développement thématique ; ici
enfin, le compatriote d'un Jan van Ruusbroec ou d'un Thomas a Kempis
prie avec la plus profonde ferveur, avec une si chaleureuse
conviction et en même temps une si touchante humilité, une si
bienheureuse pureté que la plupart des connaisseurs d'Ockeghem
invoquent l'influence des Frères de la Vie Commune, cette
confrérie mystique du Xvème siècle anversois.
Chez
Ockeghem, la Missa Mi-Mi, également dénommée Quarti
Toni, est une œuvre maîtresse. Alors que la majorité des
quinze Messes connues sont édifiées conformément à l'usage de
l'époque sur un cantus firmus – bien plus souvent d'origine
profane que religieuse dans le cas d'Ockeghem-, la Missa Mi-Mi»
est composée « librement », , en renonçant à tout
support. Cette attitude fort progressiste pour l'époque définit
Ockeghem comme un novateur audacieux. Comme « leitmotiv »
de liaison à la tête de chacune des cinq parties qui composent la
messe, nous ne trouvons que le saut de quinte descendante
caractéristique au début de la partie basse, saut auquel l'oeuvre
doit son nom (mi – la : selon les lois de la solmisation
guidonienne, Mi désignait le mi dans l'hexachorde naturel mais le la
dans l'hexachorde mineur). La technique du motif de tête que Dufay
avait utilisée magistralement dans sa Messe « L'Homme
armé » et qui se retrouve dans de nombreuses messes
d'Ockeghem, subit ici une simplification qui en réduit la portée
presque jusqu'au symbole. Comment le compositeur, malgré une
technique motivique extrêmement ramifiée, une liberté et une
indépendance absolue dans la conduite des voix, dans la rythmique et
l'agogique, et en l'absence de tout élément thématique de
synthèse, parvient cependant à donner une sensation de parfaite
unité, c'est là un miracle auquel seul une analyse détaillée
serait susceptible de rendre justice !
Il
serait en effet totalement erroné de ranger cette Messe et d'autres
œuvres de Ockeghem dans le domaine du style coulant, en imitation
syntaxique, propre à la renaissance et qui est bien plutôt le fait
d'un Jacob Obrecht, voire d'un Nicolas Gombert. Au contraire, « les
voix cheminent généralement côte à côte, en relation fort libre,
tantôt l'une, tantôt l'autre suscitant l'impulsion créatrice du
mouvement d'ensemble ; De temps à autre, une ligne unique,
abondamment ramifiée, d'une ferveur intense, apparaît au premier
plan ou, au contraire, toutes les voix se rassemblent pour une
paisible déclamation en accords » (H. Besseler). Comparé au
style chantant de palestrina, « il règne chez Ockeghem un flux
mélodique beaucoup plus mouvementé, sans les accords parfaits et
les cadences dominantes qui définissent le style palestrinien ;
Les enchaînements d'Ockeghem sont plus âpres, on trouve par exemple
encore chez lui des quintes parallèles totalement bannies du langage
de Palestrina » (H. Chr. Wolf). Ces traits d'écriture
proprement gothiques nous impressionnent précisément par leur
actualité et leur modernisme, tout comme la faculté, mise en relief
par Ernst Krenek, que possède Ockeghem de convaincre à la fois
notre esprit et notre cœur.
La
Messe Ma Maistresse utilise une Chanson profane d'Ockeghem lui
même comme cantus firmus. Elle se compose seulement d'un Kyrie et
d'un Gloria et offre ainsi le seul exemplaire de Messe brève que
l'on puisse trouver chez Ockeghem. De libres variations sur les
divers motifs de la chanson s'unissent ici en un flot continu de
toutes les voix, structure sonore quelque peu insolite pour notre
compositeur et que la réalisation purement instrumentale met tout
particulièrement en relief.
Henry
Halbreich.
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