Heinrich SCHÜTZ, que l'on appelle souvent le père de la musique
allemande, naquit à Kostritz (Saxe) en 1585, cent ans exactement avant
Johann Sebastian Bach. Ses dons musicaux se révélèrent très tôt, et en
1599, il entra dans les Choeurs de la Chapelle du Landgrave Moritz de
Hesse-Cassel. Dix ans plus tard, le Landgrave l'envoya à Venise parfaire
ses études avec Giovanni Gabrieli, éminent représentant d'un nouveau
style, plus mélodique, plus luxuriant, et plus souple que tout ce qui
était connu alors en Allemagne. Quand Gabrieli mourut en 1612, Schütz
rentra en Saxe, en dépit de son succès à Venise (où ses premières
oeuvres publiées, un livre de madrigaux, avaient été mises en vente
l'année précédente) et en 1617, sa notoriété croissante lui avait valu
le poste de Kapellmaister à la Cour de l'Electeur de Saxe, à Dresde.
Malgré quelques interruptions notables, Schütz allait exercer ses
fonctions à Dresde pendant les cinquante-cinq ans qui lui restaient à
vivre. Une de ces interruptions eu pour cause son second voyage en
Italie, qu'il entreprit en 1628 pour se familiariser avec la musique de
Monteverdi. Les conséquences désastreuses pour la Saxe de la Guerre de
Trente Ans obligèrent Schütz à s'absenter plus longtemps encore, et de
1631 à 1641 tandis que la Chapelle de Dresde était en congé forcé, il
fut au service de diverses cours, celles de Copenhague et de Hannovre,
principalement. Cependant, dès 1645, il avait réorganisé la Chapelle de
l'Electeur de Saxe, et sa vie, désormais, devait s'écouler calmement,
consacrée à la composition et à l'exécution de partitions nouvelles. Il
mourut à Dresde en 1672, à l'âge de quatre-vingt sept ans.
Dans son oeuvre considérable (madrigaux, motets, psaumes, Symphoniae sacrae, quatre Passions, Les Sept Paroles de Jésus-Christ en Croix et L'Histoire de la Nativité de Jésus-Christ)
se mêlent avec bonheur deux mondes de musique : l'Italie, avec son
style homophonique et concertant, son souci de l'expression et ses
coloris subtils, et celui de l'Allemagne, avec sa polyphonie austère et
son architecture rigoureuse. Comme Bach et Mozart, Schütz est une
synthèse des principaux courants musicaux d'une époque, mais alors que
nous apprécions à leur juste et immense valeur les deux premiers, nous
commençons à peine à reconnaître la grandeur de Schütz.
***
Composée et publiée en 1664, quand Schütz, bien qu'âgé de soixante-dix
neuf ans, était à l'apogée de ses pouvoirs créateurs, L'Histoire de la Nativité de Jésus-Christ
est une illustration musicale de fragments du Nouveau Testament se
rapportant à la nuit de Noël et aux quelques jours qui suivirent (Luc,
chapitre 2, versets 1 à 21 et verset 40, Matthieu, chapitre 2, versets 1
à 23). Le texte est fait de passages racontés et de passages parlés,
que Schütz, pour mieux les différencier, confia respectivement à une
voix solo ("L'Evangéliste") simplement accompagnée par un continuo
d'orgue, et à une ou plusieurs voix (personnifiant les acteurs du
drame), qu'accompagnaient différents groupes d'instruments. Le tout est
précédé d'un choeur bref sur le titre de l'oeuvre, et se termine par un
choeur d'actions de grâces, soutenus l'un et l'autre par l'orchestre au
complet.
Dans son avant-propos à la première édition de la partition, le
compositeur demandait que l'Evangéliste ait "une bonne et pure voix de
ténor" et qu'il soit capable de chanter les notes de son récit avec
autant de naturel que s'il parlait. Ce souci du naturel dans
l'exécution, joint à l'écriture simple et directe de cette partie
elle-même, cimente toute l'oeuvre et lui donne son unité, malgré
quelques splendides images musicales qui, fugitivement, détachent du
texte certains mots (cf. l'enfant "emmailloté et couché dans la cèche"
dans le premier récit, et les lamentations de Rachel dans l'avant
dernier).
Mais le trait le plus immédiatement séduisant de la composition est la
façon dont Schütz mit en musique les huit fragments parlés. Dans
ceux-ci, un rare don de caractérisation et un sens aigu du coloris
jouent un rôle essentiel. Chaque "Intermédium" - c'est ainsi que le
musicien nomme ce que nous appelerions épisode - a un effectif vocal et
instrumental qui lui est propre, une ambiance poéttique et un sens
dramatique particuliers.
L'Intermédium 1 ("L'Ange aux Bergers dans les Champs" Luc 2, 10-12),
chanté par un soprano accompagné de deux violes de gambe solo, annonce
l'heureuse nouvelle de la naissance du Christ avec une tendresse
rayonnante de bonheur. L'Intermédium 2 ("La Cohorte Céleste" Luc 2-14),
pour deux choeurs à trois voix et deux violons solo, a recours aux
imitations et aux effets d'antiphonie pour remplir le ciel de la voix
des anges louant Dieu et appelant la paix sur les hommes de bonne
volonté. Le troisième Intermédium ("Les Bergers dans les Champs" Luc
2,15) - altos en trois parties, deux flûtes-à-bec solo et basson solo -
est une pastorale aux vives couleurs dont la mélodie suggère le
mouvement des bergers se rendant à Bethléem. L'Intermédium 4 ("Les mages
de l'Orient" Matthieu 2,2), utilise trois ténors, deux violons solo et
un basson solo qui donne de la majesté et un caractère de marche à
l'entrée des trois rois, tandis que les violons parent leurs questions
de lyrisme et de poignante ferveur. Le cinquième Intermédium ("Les
sacrificateurs et les Scribes" Matthieu 2, 5 et 6), pour quatre parties
de basse et deux trombonnes solo, est un appel solennel de la prophétie
de la naissance du Christ - et une magnifique étude dans les tons
sombres. L'Intermédium 6 ("Hérode" Matthieu 2, 8), confié à une basse et
deux trompettes solo est véritablement royal par ses riches fanfarres
instrumentales; et on se demande si les tours et les détours de la ligne
mélodique, agitée et nerveuse, ne symbolisent pas la perfidie d'Hérode.
L'Intermédium 7 et l'Intermédium 8 ("L'Ange à Joseph" avant et après la
fuite en Egypte, Matthieu 2, 13 et 2, 20) ramènent la formation vocale
et instrumentale de l'Intermédium 1 : la tendresse, à nouveau, baigne
ces épisodes, mais une certaine anxiété est ajoutée à l'Intermédium 7
par le splendide mélisme sur le mot "fleuch" (fuis), et d'une note de
gaité à l'Intermédium 8 par un thème plus dansant.
"Et l'enfant grandit en force et en sagesse, et la grâce de Dieu était
sur lui" (Luc 2,40). Sur ces mots de l'Evangéliste, magnifiquement
couronnés par le choeur final, s'achève L'Histoire de la Nativité de Jésus-Christ
de Heinrich Schütz. Malgré la complexité de l'architecture et de la
mise en oeuvre, elle n'a jamais cessé d'être une "histoire" - touchante,
naïve, racontée sur un ton familier et humain. et c'est peut-être cette
humanité, plus qu'autre chose, qui en fait un chef-d'oeuvre sans pair.
Robert Cushman.
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