Présentation
Louis Cuchas est l'avant-dernier d'une famille de six enfants. Nés
de pères différents, rien ne les rapproche, sinon le toit qui les abrite
dans une promiscuité où le vice lui-même n'a plus de nom. Leur mère,
partagée entre ses amants successifs et sa charrette de marchande des
quatre-saisons, n'a guère le temps de s'en occuper. C'est parmi les
petites gens du quartier populeux de la rue Mouffetard que Louis laisse
le monde venir à lui, enregistrant sons, couleurs, images, sensations,
sous la protection de sa mère, dont il est le préféré. A l'école, il
s'isole, et son regard pétillant excelle à saisir les choses comme les
gens. Le surnom de « Petit Saint » que lui ont donné ses condisciples a
rapidement gagné les Halles où, à sa demande, il accompagne sa mère
chaque matin, avant l'aube.
Ses frères et sœurs vont déserter un à un le logis familial, Gabrielle
ne reçoit plus d'hommes, Louis grandit. Il a quitté l'école et travaille
la nuit aux Halles, mais il reste toujours le petit garçon aimable et
pudique, avec son visage de fillette encadré de boucles délicates.
Un jour, il se découvre une grande passion, la peinture. Désormais, il
ne vivra plus que pour elle, s'efforçant de traduire à sa manière, dans
la juxtaposition de couleurs pures, ce qu'il a accumulé en lui depuis
vingt ans. C'est l'éclosion à une vie nouvelle qui le fascine, malgré
les jours difficiles, et, en même temps, la première expérience
amoureuse. Il déménage, quittant la rue de son enfance et sa mère qu'il
aimera toujours tendrement. Ses toiles se vendent, sa popularité naît et
croît grâce à son ami, Suard, qui a encouragé ses débuts. Mais peu
soucieux d'argent et de gloire, il restera Louis, le mystérieux petit
garçon à la fois proche et lointain – dont la renommée, auréolée de
légende, fera plus tard un artiste célèbre.
Les premières lignes…
Il avait entre quatre et cinq ans lorsque le monde commença à vivre
autour de lui, lorsqu'il prit conscience d'une vraie scène se jouant
entre des êtres humains qu'il était capable de distinguer les uns des
autres, de situer dans l'espace, dans un décor déterminé. Il n'aurait
pas pu préciser, plus tard, si c'était en été ou en hiver, bien qu'il
eût déjà le sens des saisons. Probablement en automne, car une légère
buée ternissait la fenêtre sans rideau et la lumière du bec de gaz d'en
face, seule à éclairer la chambre, jaunâtre, semblait humide.
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