Rien ne leur fait peur, pas même braquer le Louvre pour y barboter La Grande Odalisque, d'Ingres (« la peinture de la nana qui a trois vertèbres de plus que tout le monde »). Alex,
Carole et Sam sont trois voleuses hors normes, des pétroleuses haut de
gamme qui pratiquent allègrement l'escalade, la chute libre ou le
deltaplane. Capables, en un claquement de doigts, de changer leur plan
de carrière et de devenir narcotrafiquantes au Mexique. Drôlement
modernes aussi, ces filles, qui se font plaquer par texto — en plein
braquage ! — ou assistent à un défilé de mode Dries Van Noten. Ces
donzelles d'exception sont mises en scène par un attelage inédit :
Bastien Vivès, auteur de l'acclamé Polina, et le très créatif duo Ruppert & Mulot (Le Tricheur, Irène et les clochards). Ces gamins des années 1980 se sont inspirés de Signé Cat's Eyes,
une série animée japonaise diffusée alors. Reprenant son esprit — les
aventures de trois cambrioleuses frondeuses —, approfondissant largement
les personnages et donnant chair à une amitié bouleversante.
La Grande Odalisque pourrait n'être qu'un délire amusant
d'adulescents mordus de Tarantino. Mais ses auteurs parviennent à lui
donner une autre dimension, embarquant le lecteur dans des péripéties
haletantes, toujours plus osées (jusqu'à une cascade à moto sur la
pyramide de Pei !). Ils arrivent surtout à bâtir des héroïnes
surprenantes, agaçantes, touchantes. Mêlant leurs imaginations et leurs
traits, ils impulsent à l'album un rythme soutenu, une grâce échevelée.
Ruppert & Mulot, dont l'alliance s'est scellée aux Beaux-Arts de
Dijon, ont laissé leurs personnages énigmatiques — aux visages neutres
mais à la gestuelle très lisible — se fondre dans ceux de Bastien Vivès,
à l'expressivité plus évidente. Ensemble, ils prennent le temps de
poser l'action, osant la décomposer sans pour autant la plomber.
Parsèment leur récit d'un humour vif, qui cueille parfois joliment. A
six mains et trois cerveaux, ils réalisent un ouvrage d'une nervosité
captivante, d'une trivialité exquise.
Le 22/09/2012
Laurence Le Saux
Telerama n° 3271
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