L'histoire
Ogami Itto est engagé pour tuer une terrible bretteuse du nom d’Oyuki,
dont le corps couvert de tatouages tétanise les assaillants. Itto mène
une enquête pour reconstituer le passé d’Oyuki, et comprendre ce qui l’a
amenée à devenir cette terrible vengeresse. Dans l’ombre, Retsudo
attend le loup solitaire…
Ogami Itto est engagé pour tuer une terrible bretteuse du nom d’Oyuki,
dont le corps couvert de tatouages tétanise les assaillants. Itto mène
une enquête pour reconstituer le passé d’Oyuki, et comprendre ce qui l’a
amenée à devenir cette terrible vengeresse. Dans l’ombre, Retsudo
attend le loup solitaire…
Analyse et critique
Itto
trouve son double féminin dans le personnage d’Oyuki, femme au destin
tragique qui ne vit, tout comme lui, que pour assouvir une vengeance.
Oyuki rappelle un autre personnage de vengeresse écrit par Koike, Yuki
de Lady Snowblood, magistralement porté à l’écran l’année suivante par
Toshiya Fujita. Itto doit aller, tout comme Oyuki, au bout de sa
vengeance. Il est prêt à "tuer les parents, sacrifier les compagnons de rencontre",
il est à la lisière de la loyauté et de la trahison. La vengeance a
toujours été une constituante majeure de la société féodale japonaise,
considérée comme un crime seulement à la fin du XIXème siècle, au début
de l’ère Meiji ! Le confucianisme, importé de la Chine, pousse la
loyauté au seigneur et aux parents à son paroxysme. Un enfant se doit de
venger la mort du père. Cette obligation morale s’est reportée sur la
loyauté du vassal envers son maître. Un bushi doit, même si sa vie en
dépend, laver l’honneur de son maître. C’est de cette exigence que sont
nés les samouraïs, qui deviennent l’élite du pays en échange de leur
lourde allégeance.
Oyuki s’est fait tatouer une sorcière des montagnes (une yamanda) et
un kintaro tétant son sein. Aucun samouraï ne se ferait tatouer, ni
aucune fille de marchand ou de paysan. C’est un acte qui la met à
l’écart de toute classe, un déshonneur que ne peut comprendre que celui
qui suit la même voie. Le final de cet épisode se passe dans une source
d’eau chaude, où les personnes qui suivent une quête doivent aller se
purifier durant sept jours et sept nuits. Ce n’est donc pas un hasard si
c’est l’endroit où vont enfin se rencontrer Oyuki et Itto. Ce contrat
qu’Itto a accepté est révélateur de la folie destructrice de la
vengeance. Sur son chemin meurtrier, Oyuki a semé la désolation, et
c’est de nouveau par vengeance qu’une personne qui a vu tomber un être
proche, fait appel à l’assassin Itto. Une boucle infernale, un serpent
qui se mord la queue.
Autre
personnage fort de ce quatrième épisode Genbei, fils de Retsuro Yagyu,
est envoyé en exil par son père suite à une erreur fatale qui a conduit
Itto à obtenir le poste de bourreau à la place de Genbei, pourtant
meilleur sabreur que lui. Si Genbei brille plus par ses talents
martiaux, sa incompréhension complète des codes du bushido lui donne un
désavantage certain sur son adversaire. Il est convaincu des les
incarner, mais c’est une version tronquée, pervertie. Alors qu’il est
censé s’être fait sepukku pour laver l’honneur de la famille Yagyu,
c’est en fait un de ses frères qui a pris sa place. Gunbei est fasciné
par les yeux de Daigoro, ces yeux qui sont ceux de celui qui a tué des
centaines d’hommes, les yeux du shishogan, celui qui ne fait qu’un avec
le Mu, celui du combattant qui a vaincu la mort. Cette importance du
regard traverse le film de personnage en personnage, des multiples gros
plans sur les yeux d’Itto au multiplications de regards de l’adversaire
hypnotiseur d’Oyuki.
Cet épisode se centre sur le passé des Yagyu, ce qui a amené leur chef
Retsudo à ourdir un complot contre Itto. Les Yagyu sont quasiment les
maîtres secrets du japon féodal. Ils ont étendus leur influence dans
toutes les sphères. Conseillers militaires du Shogun, ils contrôlent les
assassins qui ont pour mission de tuer les opposants au Shogun. Ils
maîtrisent dans l’ombre le clan des Kurokawa à qui appartiennent les
O-Niwaban ("gardiens du jardin"), ninjas chargés d’espionner
les seigneurs à la recherche de preuves pour faire tomber les han dans
les mains du Shogun (on le voit dans le deuxième épisode, où ce sont les
Kurokawa qui demandent aux amazones Yagyu de tuer Itto avant de
l’attaquer de front). Les Yagyu ont enfin volé le dernier poste
primordial de la hiérarchie Shogunal à Ogami Itto, le kaishakunin . Ce
poste est d’importance pour la peur qu’il instille chez les Daimyos.
Buichi Saito, réalisateur peu connu en occident (qui a entre autre mis
en scène des westerns !) avait déjà travaillé avec Tomisaburo Wakayama
sur plusieurs séries et il était d’ailleurs le premier choix de l’acteur
pour lancer Baby Cart au cinéma. Saito est très
respectueux des codes formels initiés par Misumi, et le film trouve tout
naturellement sa place dans la saga. Le générique est constitué de deux
travellings se succédant, un arrière cadré sur le visage impassible
d’Itto, l’autre avant sur un paysage de forêt. Le tout est entrecoupé de
brefs éclairs d’extraits des épisodes précédents. C’est un lien avec la
première trilogie, mais également une très belle illustration de la
route sanglante qu’empruntent Itto et son fils. Un chemin qu’il doit
suivre, imperturbable, monolithique. Déférent, Buichi Saito est tout de
même loin de montrer la même inventivité que son prédécesseur. Ainsi, il
accumule les substituts narratifs : chansons explicatives, voix off,
flashbacks purement narratifs… alors que Misumi cherche toujours des
équivalents visuels et purement cinématographiques au manga, Saito tombe
souvent dans la facilité. Ceci n’empêche par le film d’être efficace au
possible, notamment dans sa dernière séquence apocalyptique. Une autre
séquence marquante, celle qui confronte Itto à un groupe de ninjas,
dégénère en véritable film de zombies, les belligérants découpés en
morceaux lançant des borborygmes gutturaux inhumains, se mouvant comme
des pantins désarticulés, semblent tout droit sortis d’un film de Fulci.
Une autre influence se fait ressentir, celle des Wu Xia Pian de la Shaw
Brothers. Si jusqu’ici les combats de Baby Cart
étaient surtout construits autour de l’expression du laigo (l’art de
dégainer et de trancher en un même mouvement), Saito privilégie la joute
guerrière. Il y a de véritables échanges de coups, mis en scène dans de
détonantes chorégraphies martiales, par moments assez éloignées de l’esthétique du chambara.
Mais c’est au niveau du récit que le film trouve sa marque propre. Le
scénario de Koike pioche beaucoup moins dans les nombreuses histoires de
sa version papier, et se concentre sur deux assez longues, mettant en
scène Oyuki et Genbei. Le film n’est plus cette avancée délirante dans
l’enfer de la mort qui évoquait les jeux vidéo. La structure est plus
tragique, les personnages secondaires acquièrent de l’importance.
L’enquête que mène Itto pour retrouver Oyuki et découvrir son passé,
donne parfois une ambiance de film policier à cet épisode. Il
reconstruit l’histoire d’Oyuki de témoin en témoin. Il interroge son
tatoueur, puis se rend chez les gomune (ménestrels, danseurs, acteurs,
conteurs…tous ceux qui gagnent leur vie dans la rue) rassemblés dans une
véritable ville, société reconstituée des gens hors normes. On n’avait
jusqu’ici jamais vu Itto s’investir autant dans un contrat, dans une
histoire qui n’a pas de lien avec sa vengeance. Le suspens du film tient
dans ce que va faire l’assassin lorsqu’il sera en face de sa sœur de
destin. Saito et Koike humanisent en quelque sort le personnage d’Itto.
Dans le combat final, apothéose visuelle de cet épisode, le loup
solitaire n’est plus le combattant intouchable, surhumain, des films
précédants. "Daigoro, j’entre en enfer. Si je ne reviens pas, tu meurs"
avertit Itto avant d’entrer dans le champ de bataille. Son visage est
marqué par l’effroi, effroi devant le massacre qu’il s’apprête à
commettre. Et effectivement c’est d’un charnier que va ressortir un Itto
hagard, qui vient de contempler les flammes de l’enfer. Le visage d’un
dément effrayé par la force destructrice de son désir de vengeance.
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