121110 - LECTURE - Jacques CHESSEX - L'Interrogatoire
L'Interrogatoire,
de Jacques Chessex
Avez-vous déjà essayé, seul, d’être franc envers vous ? De faire
appel à l’Inquisiteur qui sommeille en vous, qui vous connaît et que
vous ne pourrez pas longtemps berner ? Parce qu’il était né dans une
famille protestante, et parce qu’il admirait Rousseau, c’est ce défi -
absurde et nécessaire - que relève Jacques Chessex, dans l’espoir non de
le tenir, mais de se confronter avec ce que Starobinski appelait « la
transparence et l’obstacle ». Divisé en grands thèmes comme « l’orgueil
», « le vice » ou « le suicide », cet examen de conscience n’évite aucun
sujet. « Dès les premiers mots qu’elle a dits, la voix questionne, je
réponds. C’est la loi d ’Interrogatoire. »
Le cahier des charges est simplissime ; mais qui pourrait s’y conformer
? Chessex s’y essaie : il évoque ses problèmes d’alcoolisme, ses doutes
- et sa foi - concernant l’écriture, ses questionnements devant les
hommes et devant Dieu, son désir pour sa compagne, de quarante ans sa
cadette. Que ce soit à travers sa propre oeuvre il revient longuement
sur Un Juif pour l’exemple ou par les écrits de
Heidegger ou de Flaubert, Chessex interroge également la littérature,
sans fard ni coquetterie. Les plus belles pages sont alors celles qui
tentent de percer le mystère de l’écriture, et la manière dont
l’écrivain tourne autour d’un sujet, lentement, avant de le choisir - ou
d’être choisi par lui. Puisqu’il s’agit de tout dire,
le lecteur trouvera également dans ces pages bon nombre d’aveux sexuels ;
mais ils sont de peu d’importance. Il faut les entendre comme des signes
de sincérité, qui dévoilent le grand désir de transparence chez
l’écrivain. Par eux, Chessex tient à nous assurer de la véracité de ses
autres chapitres. Cela aussi, Chessex l’apprit de Rousseau. À de rares -
très rares - moments, cela sent un peu l’exercice et la pose : mais
c’est que Chessex joue avec le feu. On connaît la phrase de Lacan : « Je
dis toujours la vérité : pas toute, parce que toute la dire, on n’y
arrive pas... » C’est cette volte-face qui resurgit dans L’Interrogatoire
; le même échec induit la même gloire. « "C’est ta conscience qui
te le dira." Combien de fois ai-je entendu ce propos trop simple,
apparemment trop transparent, pour ne pas me sentir cloué par sa ferme
et calme horreur ! »
La vérité est toujours simple, mais elle n’est pas de l’ordre du
savoir, car elle est pleine et totale. Elle effraie comme un bloc
d’abîme et de nuit. Jacques Chessex tente de la découvrir ; mais ce
qu’il découvre surtout, et qui fait la valeur de son livre, c’est qu’à
tant désirer la transparence, on n’entend plus rien de ce que l’autre
disait. La transparence est un obstacle. Changement de
rôle : l’inquisiteur s’inquiète. « Vous n’avez rien dit de Dieu, ou si
peu, rien de l’amour, rien de la peur... » Chessex lui répond : « Vous
auriez dû écouter mieux. » Ou comment un livre posthume nous invite à
ouvrir tous les autres livres de son auteur.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire