Le cahier noir – Michel Tremblay [2003]
«
La honte est une bête qui possède plusieurs têtes, je le sais depuis
mon enfance, par la force des choses, à cause de ce que je suis. »
En 1966, au cœur du quartier latin de Montréal, Céline Poulin sert de nuit des hamburger platters à la faune exotique (étudiants paumés, travestis, guidounes et folles) de la Main,
boulevard mal famé. De jour, elle gère sa calamiteuse famille : une
mère alcoolique, un père végétatif, et deux sœurs cadettes adolescentes.
Lassée de cette vie morne, Céline rêve qu'il lui arrive enfin "quelque
chose". Et en acceptent d'aider une étudiante à préparer son audition
pour jouer dans Les Troyennes d'Euripide, elle met en marche une bombe à retardement qui va bouleverser sa vie...
Premier tome de la trilogie des cahiers
de Céline, ce cahier noir est le journal-confession de l'héroïne
narratrice. C'est le cahier de la honte d'être différent, mais aussi
celui d'une lente transfiguration vers l'émancipation. Car si, au début
du récit, Céline confie à son cahier son désarroi, sa frustration, sa
colère et sa honte face aux humiliations quotidiennes subies, liées à sa
différence, petit à petit, à force d'épreuves, de rencontres, de
hasards et de quiproquos, elle va apprendre à s'assumer et même à faire
une arme de sa particularité.
Ce cahier noir est aussi une exploration
des relations mère-fille dans un rapport d'animosité, de rejet
réciproque et même de torture psychique. La mère de Céline, tenant sa
fille pour responsable des déceptions et échecs de sa vie, en est
devenue acerbe, manipulatrice, tyrannique et destructrice, dénigrant
perpétuellement sa fille. Quant à Céline, peu sure d'elle et
profondément blessée par le rejet de sa mère, elle espère malgré tout,
encore, une parole, un geste, une preuve d'amour... Jusqu'au moment où, à
force de fréquenter diverses marginalités, Céline en vient
graduellement à accepter la sienne et arrive enfin à s'affranchir d'un
milieu familial malsain qui l'a toujours dénigrée à cause de sa
différence.
Ce cahier noir est encore un récit sur
l'envie et la nécessité d'écrire et la passion du théâtre. Le théâtre
est en effet au centre du récit, une troupe d'amateurs montant Les Troyennes
d'Euripide. En mettant cette pièce en parallèle avec l'évolution de
Céline, Michel Tremblay en souligne la modernité et en donne une vision
universelle qui transcende les deux mille quatre cents ans qui nous
séparent de son écriture.
Enfin, dans ce cahier noir, Michel
Tremblay donne la parole à des personnages extravagants, plus grands que
nature, drôles et attachants, mais qui tous cachent, derrière leurs
vies de comédie, des tragédies personnelles. Michel Tremblay dresse avec
tendresse les portraits vivants et touchants de ces êtres "à la marge"
qui n'agissent pas selon les règles établies. Et comme souvent chez
Michel Tremblay, la solidarité des faibles et des démunis est au cœur de
son récit et lui confère une belle humanité !
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