L'auteur nous plonge dans le journal intime d'un homme dont le corps a connu mille morts et autant de résurrections.
Ce journal d'un corps n'est pas autobiographique puisque son auteur est
né en 1923 et meurt en 2010! Mais ce détour par l'imaginaire est fécond,
il nous évite ces journaux qui prétendent à l'authenticité en
sacrifiant la littérature. Or c'est elle qui atteint la vérité profonde.
Les fantasmes en disent plus long sur nous-mêmes que la recension du
vrai factuel dont on nous rebat les oreilles. Le récit commence avec une
histoire de peur, d'enfant ligoté dans la forêt par ses petits
camarades au cours d'un jeu guerrier. Une colonie de fourmis menace de
le dévorer. L'angoisse originelle par excellence, celle de l'ogre. Et
des peurs, ces pages en regorgent.
«Enfant, j'avais déjà des maux de vieux»
Portrait
de l'homme qui a peur. D'abord, de sa mère! Pennac a peut-être lu
Mélanie Klein, car cette mère terrible, autoritaire, castratrice -
comme on dit - semble sortie des analyses de cette psychologue de
l'enfance cauchemardesque. C'est comme si la délicieuse maman disait
constamment à son petit: «As-tu mérité ton existence?» Du coup, le
bonhomme se regardant dans un miroir s'y découvre abandonné, inexistant.
L'expérience va se renouveler tout au fil de sa vie. Il doit se
construire un corps, une image. C'est cette épopée qui nous est contée
par le menu du moindre atome de chair et de muqueuse. Des pollutions
nocturnes inaugurales à la prostate finale. Le gosse est fragile, en
proie à tous les bobos de la création: «Enfant, j'avais déjà des maux de
vieux.» Heureusement, la marâtre est compensée par un père lumineux
mais fugace, fantôme issu de la Grande Guerre, et par «la bonne», je
veux dire la bonne mère: Violette, une nounou idéale et libératrice.
Bon! Rien n'est perdu! La «résilience» du rassurant Boris Cyrulnik n'est
pas loin… Ce tableau initial est peut-être un peu exemplaire et
démonstratif.
Coups de pouce séducteurs
Il y a parfois
chez Pennac ces coups de pouce séducteurs, ces scènes à faire qui tirent
les ficelles de son personnage démuni. Mais plus on avance, plus
l'artifice s'efface. Pennac semble broder à partir d'une solide
expérience d'hypocondriaque. Le cœur du livre atteint un paroxysme
inégalable avec des symptômes liés au nez et à des polypes! Des
hémorragies, des opérations, suivies d'anémie, de zona, j'en passe.
C'est l'hallali des narines. L'Iliade de nos tripes. On sait que la
symbolique affective du nez est tissée d'analogies génitales, anales…
Bien sûr, il y aura le premier fiasco, le dépucelage à vingt-trois ans!
Mais la scène est belle, le mariage, les enfants, les petits-enfants et
les arrière-petits-enfants! Tout y est, très pointu dans les détails.
Nul orifice, nul appendice n'a de secret pour Pennac, nulle sécrétion,
émanation. C'est la vie vue à travers la lunette des toilettes. Voici
donc l'histoire de nos fibres, celle d'un type mal parti qui connaît
mille morts, mille résurrections et remplit sa vie. Ouf! Le diariste
écrit une phrase qui le résume, lui, et nous: «Je suis seul comme
l'homme.»
«Journal d'un corps», de Daniel Pennac, Gallimard, 400 p., 22 €.
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