vendredi 26 octobre 2012

121026 - LECTURE - Jacques CHESSEX - Dans la buée de ses yeux


On le remarque depuis plusieurs années: le talent de Jacques Chessex produit des fruits de plus en plus beaux, de plus en plus succulents, de plus en plus achevés. Peut-être que la jonction s’opère de plus en plus parfaitement, chez lui, entre le poète qu’il fut dès ses débuts, le romancier à succès qu’il devint par la suite…
Dans la buée de ses yeux
, «chronique» d’une rencontre et de ses lendemains, se hisse insensiblement au-delà de l’anecdote. Même si reste douloureusement présente à l’esprit du narrateur la précarité de tous les attraits et de toutes les attirances, il demeure en ceux-là et en ceux-ci comme un reflet, un parfum, un besoin d’éternité. Cela donne des pages qu’il faudrait citer tout entières. Tout y est juste. La tension vers la perfection de l’écriture jamais ne s’y relâche.
Myriam, c’est le nom de l’Elle de l’histoire, est la médiatrice en gloire dont le poète dessine l’aura comme les peintres médiévaux la mandorle christique. Elle élève et constitue le seul rempart face au gouffre, au vide et à la mort. Mais le poète sait le danger qu’il y a à idolâtrer la créature, si belle et si digne d’amour fût-elle. Aussi discerne-t-il en Elle ce qui provient de l’au-delà des mots, de l’Ailleurs dont, on n’est pas proche pour rien de l’évêque d’Hippone et de la pensée platonicienne, la créature est la représentation plus ou moins illuminée ou plutôt lumineuse. «Dans» ou plutôt «derrière» la buée de ces yeux-là fulgure un rayon d’éternité. Seuls ceux qui n’ont pas suivi le cheminement de Jacques Chessex depuis des décennies seront surpris par la forme qu’a prise, cette fois, ce qu’on ose nommer son génie de l’écriture…

JEAN-CLAUDE JOYE
, L’Express


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