dimanche 12 août 2012

120812 - LECTURE - Percival EVERETT - Blessés


Depuis Jack London, le Grand Ouest américain fait rêver les hommes en perdition. Naufragés volontaires dans des espaces qu’ils imaginent vierges, ils croient pouvoir oublier le passé et se réinventer une vie. La réalité, pourtant, n’est pas tendre avec ces « poor lonesome cowboys », et nombre d’auteurs contemporains n’ont rien caché de la sauvagerie de ces prairies qui semblent dominer l’infini. Nos préférés : Thomas Savage, Jim Harrison, Rick Bass, Thomas McGuane, William Kittredge, Elwood Reid, l’Indien James Welch… Désormais, il faut aussi compter avec Percival Everett, qui, lui, est noir. Ses deux précédents livres, Effacement et Désert américain, des merveilles d’ironie flirtant avec la fantaisie, donnaient à lire une Amérique paquetée de contradictions – pudibonderie, racisme... Blessés, lui, se situe dans la lignée des grands romans dramatiques – un rien trop sentimental, mais aussi enivrant que l’herbe à bisons ondoyant sur les plaines du Wyoming. Le narrateur, John Hunt, s’est retiré du monde, de l’université, des coquetteries du département d’histoire de l’art. C’est un cow-boy dur à cuire, un type droit qui cache quelques blessures. Il dirige un ranch, seul avec un vieil oncle. Il sait, comme Robert Redford, murmurer à l’oreille des chevaux, et cela lui suffit. Mais John Hunt est noir, et même ici, si loin des grandes cités déjantées, la bêtise, la cruauté, le racisme, l’homophobie viennent empoisonner sa fragile liberté. Percival Everett réinvente le western, galope entre le bien et le mal, images grandioses et violences sournoises. Sa narration, d’une sensualité époustouflante, donne le vertige. Blessés, chronique d’aujourd’hui, n’est en fait qu’un roman d’amour dédié à cette sauvage Amérique. 

Martine Laval   
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Anne-Laure Tissut, éd. Actes Sud, 276 p., 20 €.



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