Depuis Jack London, le Grand Ouest américain
fait rêver les hommes en perdition. Naufragés volontaires dans des
espaces qu’ils imaginent vierges, ils croient pouvoir oublier le passé
et se réinventer une vie. La réalité, pourtant, n’est pas tendre avec
ces « poor lonesome cowboys », et nombre d’auteurs contemporains n’ont
rien caché de la sauvagerie de ces prairies qui semblent dominer
l’infini. Nos préférés : Thomas Savage, Jim Harrison, Rick Bass, Thomas
McGuane, William Kittredge, Elwood Reid, l’Indien James Welch…
Désormais, il faut aussi compter
avec Percival Everett, qui, lui, est noir. Ses deux précédents livres,
Effacement et Désert américain, des merveilles d’ironie flirtant avec la
fantaisie, donnaient à lire une Amérique paquetée de contradictions –
pudibonderie, racisme... Blessés, lui, se situe dans la lignée des
grands romans dramatiques – un rien trop sentimental, mais aussi
enivrant que l’herbe à bisons ondoyant sur les plaines du Wyoming. Le
narrateur, John Hunt, s’est retiré du monde, de l’université, des
coquetteries du département d’histoire de l’art. C’est un cow-boy dur à
cuire, un type droit qui cache quelques blessures. Il dirige un ranch,
seul avec un vieil oncle. Il sait, comme Robert Redford, murmurer à
l’oreille des chevaux, et cela lui suffit. Mais John Hunt est noir, et
même ici, si loin des grandes cités déjantées, la bêtise, la cruauté, le
racisme, l’homophobie viennent empoisonner sa fragile liberté. Percival
Everett réinvente le western, galope entre le bien et le mal, images
grandioses et violences sournoises. Sa narration, d’une sensualité
époustouflante, donne le vertige. Blessés, chronique d’aujourd’hui,
n’est en fait qu’un roman d’amour dédié à cette sauvage Amérique.
Martine Laval
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Anne-Laure Tissut,
éd. Actes Sud, 276 p., 20 €.
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dimanche 12 août 2012
120812 - LECTURE - Percival EVERETT - Blessés
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