samedi 8 janvier 2011

110107 - LECTURE - Boris VIAN - L'automne à Pékin


« L’automne à Pékin », de Boris Vian

Un mot d’abord pour situer cette oeuvre. Elle a été écrite en 1946 puis remaniée en 1956, pour une deuxième édition, trois années seulement avant la mort de l’auteur. A cette époque, Vian n’était pas seulement romancier mais aussi ingénieur, inventeur, musicien, critique de jazz, poète, auteur dramatique, scénariste, traducteur, chroniqueur, parolier et interprète de ses propres chansons.

borisvian
L’automne à Pékin n’eut aucun succès du vivant de Boris Vian, tout comme toute son oeuvre d’ailleurs.

Dès les premières lignes du livre, on est vite plongé dans l’univers particulier et absurde de Boris Vian :

« Ama­dis Dudu sui­vait avec convic­tion la ruelle étroite qui consti­tuait le plus long des raccourcis per­met­tant d’at­teindre l’arrêt de l’au­to­bus 975. Tous les jours, il de­vait don­ner trois ti­ckets et demi, car il des­cen­dait en marche avant sa sta­tion, et il tâta sa poche de gilet pour voir s’il lui en res­tait. Oui. Il vit un oi­seau, pen­ché sur un tas d’or­dures, qui don­nait du bec dans trois boîtes de conserves vides et réus­sis­sait à jouer le début des Ba­te­liers de la Volga ; et il s’ar­rê­ta, mais l’oi­seau fit une fausse note et s’en­vo­la, fu­rieux, grom­me­lant, entre ses de­mi-​becs, des sales mots en oi­seau. Ama­dis Dudu re­prit sa route en chan­tant la suite ; mais il fit aussi une fausse note et se mit à jurer. »

Tout est improbable dans ce livre. Improbable voire impossible. Impossible a priori de louper un bus dix fois de suite alors qu’il en passe un tous les dix minutes. Improbable (encore que … !) cette idée d’un ingénieur d’aller construire un chemin de fer en plein désert. Toutes les autres situations sont du même tonneau : un restaurant implanté dans le sable alors qu’il n’y a pas âme qui vive à la ronde, ce même restaurant qui se trouve être pile-poil sur le tracé du chemin de fer, un chemin de fer qui est construit sur pilotis, faute de ballast, un archéologue qui met un soin infini à déterrer de précieux vases pour ensuite les casser d’un coup de marteau et pouvoir ainsi les ranger dans de petites boîtes, un médecin qui donnerait sa vie pour soigner une pauvre chaise, un ermite qui se livre à un drôle d’acte Saint : s’occuper en public de l’intérieur en velours rose d’une négresse, un abbé qui s’invente une religion désopilante faite de comptines et de chansons, un désert fait de zones claires et de zones d’ombres inquiétantes, un avion miniature qui s’avère être capable de mordre et de provoquer les plus terrifiants dégâts, …

Chez Boris Vian, un escalier qui se dérobe sous les pieds n’est pas qu’une image, l’escalier en question disparaît physiquement. Il y a dans le livre des centaines de phrases qui relèvent de ce procédé visant à redonner aux mots leur vrai sens. C’est probablement la chose que j’aime le plus dans l’oeuvre de Vian, cette manière de jouer constamment avec le verbe.

Dès le début du livre, j’ai été plié de rire (comme à chacune de mes lectures de cet ouvrage). Et puis, au fur et à mesure que le livre avance, on sent bien qu’il s’agit d’une tragi-comédie. Deux conceptions opposées de l’amour s’affrontent. Celle d’Angel, très platonique, très angélique, très idéaliste en quelque sorte (au point de considérer que le seul fait de toucher une femme la détruit inexorablement). Et celle de Anne (drôle de prénom pour un mec) uniquement charnelle (pour qui ce n’est pas un problème que de laisser choir un corps qu’on a usé jusqu’à la lie).

Pendant toute la lecture du livre, on sent que l’issue de ce conflit sera dramatique. Beaucoup de personnages du roman meurent les uns après les autres (comme souvent dans l’oeuvre de Vian, souvenons-nous de ses pièces de théâtre telles que « le goûter des généraux », « équarissage pour tous », …) mais ces morts n’ont finalement qu’une importance relative.

Ne vous attendez pas à lire une phrase sur l’automne et sur la ville de Pékin. On ne sait pas vraiment où et quand l’action se déroule.

Les personnages n’ont pas beaucoup de consistance. On ne s’y attache pas vraiment (même la belle Cuivre qui pourrait faire fantasmer plus d’un d’entre nous, n’a pas, à mon avis, la densité d’un vrai personnage de roman). Là n’est pas l’important. C’est de la rencontre de ces personnages que vont naître des situations intéressantes et déboucher sur de grands réflexions sur le sens de la vie. Les personnages ne sont là que pour nous amener dans le monde burlesque de l’auteur.

Beaucoup de choses ont été écrites sur ce livre et notamment sur le fait qu’il n’y avait pas de clé pour sa compréhension. Toutes les interprétations différentes des lecteurs, même contradictoires, seraient de bonnes interprétations. Vian lui même avait spécifié je crois que chacune des questions posées dans le livre pouvait déboucher sur n’importe quelle solution.

A chacun d’entre nous donc, sa propre interprétation de l’oeuvre !

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